§1) Le Premier ministre
Le Premier ministre est, selon le texte de la Constitution, l’autorité exécutive disposant du plus de pouvoirs. L’article 20 de la Constitution dispose en son alinéa 1er que « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». L’alinéa 2 ajoute que le gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ». Aux termes de l’article 21 alinéa 1er « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois ». Mais c’est à la phrase suivante que l’étendue de ses fonctions administratives semble la plus éclatante : « Sous réserve des dispositions de l’article 13 [sur les pouvoirs de nomination du Président de la République], il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires ». Ajoutons que le Premier ministre dispose de la légitimité politique découlant du fait qu’il est responsable devant le Parlement : le Premier ministre est donc l’autorité exécutive légitime du système parlementaire. Nous verrons pourtant infra comment le Président de la République domine institutionnellement le Premier ministre et lui impose ses vues jusqu’à en faire un simple collaborateur.
Le Premier ministre dispose donc de l’essentiel du pouvoir réglementaire en application des articles 21 et 37 de la Constitution. Il signe seul les décrets qui ne sont pas délibérés en Conseil des ministres (conseil qui est, rappelons-le, présidé par le Président de la République) et les ministres ne font qu’apposer leur « contreseing ».
Fait partie du pouvoir réglementaire propre du premier ministre le pouvoir de police administrative générale sur l’ensemble du territoire, en vertu de l’article 37 C. mais également en application d’une jurisprudence administrative ancienne ((CE, Sect., 8 août 1919, Labonne*, n° 56377, rec. CE, 4 juin 1975, Bouvet de la Maisonneuve, n° 92161, rec.)).
La nomination du Premier ministre appartient au Président de la République, en vertu de l’article 8 C. ((Article 8 al. 1 C. : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ».)). Même si elle est faite par le Président de la République, la nomination du Premier ministre ne peut évidemment se faire sans l’accord de la majorité à l’Assemblée nationale, puisque cette dernière peut déposer contre le gouvernement une motion de censure (art. 49 al. 2 C.). Les ministres sont également nommés par le Président de la République mais sur proposition du Premier ministre (art. 8 al. 2 C.).
La question s’est posée de savoir si le gouvernement, une fois nommé, devait recevoir l’investiture du Parlement, selon un système de double investiture. L’article 49 al. 1 C. dispose en effet que « Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Mais le premier gouvernement de la Vème République a omis de prononcer un discours et de présenter son programme devant l’Assemblée nationale une fois investi par le Président de la République : aucune coutume constitutionnelle ne s’est développée dans le sens d’une double investiture du gouvernement.
Certains domaines semblent faire entrer le Premier ministre et le Président de la République dans un conflit d’attributions, en particulier le domaine militaire. En effet nous l’avons vu le Président de la République « est le chef des armées » et préside les conseils et comités supérieures de la défense nationale (art. 15 C.) tandis que le Premier ministre est responsable de la défense nationale (art. 21 C.) et que le Gouvernement dispose de la force armée (art. 20 al. 2 C.). L’apparente contradiction se résout si l’on se souvient que le Président dirige l’exécutif dans son aspect politique, le Premier ministre dans son action administrative. Pour employer une image, le Président fixe les objectifs militaires, le Premier ministre s’assure que les salaires soient payés.
Liste des Premiers ministres de la Vème République : Michel Debré (8 janvier 1959 – 14 avril 1962) ; Georges Pompidou (14 avril 1962 – 10 juillet 1968) ; Maurice Couve de Murville (10 juillet 1968 – 20 juin 1969) ; Jacques Chaban-Delmas (20 juin 1969 – 5 juillet 1972) ; Pierre Messmer (5 juillet 1972 – 27 mai 1974) ; Jacques Chirac (27 mai 1974 – 25 août 1976) ; Raymond Barre (25 août 1976 – 21 mai 1981) ; Pierre Mauroy (21 mai 1981 – 17 juillet 1984) ; Laurent Fabius (17 mai 1984 – 20 mars 1986) ; Jacques Chirac (20 mars 1986 – 10 mai 1988) – cohabitation ; Michel Rocard (10 mai 1988 – 15 mai 1991) ; Édith Cresson (15 mai 1991 – 2 avril 1992) ; Pierre Bérégovoy (2 avril 1992 – 29 mars 1993) ; Édouard Balladur (29 mars 1993 – 17 mai 1995) – cohabitation ; Alain Juppé (17 mai 1995 – 2 juin 1997) ; Lionel Jospin (2 juin 1997 – 6 mai 2002) – cohabitation ; Jean-Pierre Raffarin (6 mai 2002 – 31 mai 2005) ; Dominique de Villepin (31 mai 2005 – 17 mai 2007) ; François Fillon (17 mai 2007 –15 mai 2012) ; Jean-Marc Ayrault (15 mai 2012 – 31 mars 2014) ; Manuel Valls (31 mai 2014 – 6 décembre 2014) ; Bernard Cazeneuve (6 décembre 2016 – 15 mai 2017) ; Édouard Philippe (15 mai 2017 – 3 juillet 2020) ; Jean Castex (3 juillet 2020 – ).
§2) Les ministres, secrétaires d’Etat, délégués interministériels et haut-commissaires
A./ Nomination et compétences des ministres
Aux termes de l’article 8 al. 2 C., les ministres sont nommés par le Président de la République sur proposition du Premier ministre.
En période de concordance des majorités, le Président de la République exerce une influence déterminante sur le choix des ministres. En période de cohabitation le Président ne peut guère qu’indiquer sa réticence à telle ou telle nomination mais le Premier ministre détermine seul, comme il est normal, la composition de son gouvernement.
Les attributions des ministres sont déterminées par décret ((Marc-Antoine Granger, « Les décrets portant attributions des membres du Gouvernement », RFDC, 2013/2 (n° 94), p. 335-355. Accessible en ligne : DOI : 10.3917/rfdc.094.0335.)) puisque l’article 34 de la Constitution n’attribue pas cette question au législateur ((CC 9 juillet 1969, décision n° 69-56 L, Nature juridique de certaines dispositions de l’article premier de la loi du 19 décembre 1961 instituant un Centre national d’études spatiales et article premier de la loi du 3 janvier 1967 portant création d’organisme de recherche, cons. n° 1.)). Les ministères les plus importants ont des domaines de compétence récurrents et sont désignés par les lieux où se trouvent le bâtiment principal du ministre.
Ainsi les palais de la République ou parfois les bâtiments plus modernes qui ont été construits permettent de désigner les ministères et par extension les ministres et leurs fonctions : Beauvau (Ministère de l’intérieure, situé Place Beauvau), Bercy (Ministère de l’économie et des finances, situé rue de Bercy), Matignon (hôtel de Matignon, Premier ministre), Quai d’Orsay (adresse du ministère des affaires étrangères), Grenelle (ministère de l’éducation nationale). Le ministère de la Justice est situé Place Vendôme mais il est rare de lire « la place Vendôme » alors qu’il est fréquent de lire « le quai d’Orsay » ou « Matignon ». Le ministère de la Justice sera désigné comme « la Chancellerie » et le ministre de la justice « le garde des Sceaux ».
Les ministres ne disposent pas, contrairement au Premier ministre, de pouvoir réglementaire autonome. Ils sont appelés à contresigner les décrets du Président de la République et du Premier ministre si ces décrets sont délibérés en Conseil des ministres (conseil auquel participent tous les ministres), ou les décrets du Premier ministre pour ceux qui ne sont pas délibérés en Conseil des ministres. Le pouvoir réglementaire des ministres est restreint à l’organisation de leurs propres services ((CE, Sect., 7 février 1936, Jamart*, n° 43321, rec.)).
En revanche lorsque la loi ou le règlement leur en donne la compétence, les ministres disposent d’un pouvoir réglementaire et du pouvoir d’adopter des actes administratifs individuels par le biais d’actes administratifs appelés « arrêtés ».
B./ Les différentes catégories de membres du gouvernement
Parmi les ministres existent une catégorie dénommée « ministres d’Etat ». Le titre de ministre d’Etat est purement honorifique et il vient désigner un ministre que l’on veut honorer, dans sa personne ou sa fonction.
Par ailleurs, à côté des ministres d’Etat et des ministres ordinaires existent parfois des ministres délégués ((Sur ces questions v. Olivier Gohin et Jean-Gabriel Sorbara, Institutions administratives, LGDJ, n° 376-385.)). Les ministres déléguées sont des ministres rattachés à un ministre et auxquels sont attribuées des attributions à titre permanent ou temporaire. Les services du ministère de rattachement sont mis à la disposition du ministre délégué sans que celui-ci n’exerce de pouvoir hiérarchique sur eux.
Il existe par ailleurs des secrétaires d’Etat, qui n’ont pas le titre de ministre et qui ne peuvent donc pas participer, si on ne les invite pas expressément, au Conseil des ministres. Certains secrétaires d’Etat, jusqu’au début des années 1990, étaient autonomes. N’étant pas rattachés au Premier ministre ou à un ministre, ils avaient les fonctions d’un ministre sans en avoir le titre. Mais le plus fréquemment les secrétaires d’Etat sont rattachés à un ministre ou au Premier ministre.
C./ Autres fonctions non-ministérielles
Citons encore deux fonctions que l’on ne retrouve pas au sein d’un gouvernement mais en lien avec l’action du gouvernement : les Délégués interministériels et les Hauts commissaires.
Les délégués interministériels sont, comme les secrétaires d’Etat, dépourvus de services et de budget propres. Leurs moyens matériels et en personnel sont mis à leur disposition pour les différents ministères. Les délégués interministériels ont en charge des missions transversales pouvant relever de plusieurs ministères ((Voici quelques exemples de délégations interministérielles permanentes : Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité des régions (DATAR), Délégué interministériel à la sécurité routière (DISR).)). Parfois ces missions transversales sont rattachées à des « missions interministérielles » ((V. par exemple la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES).)) ou à des « secrétariats généraux » ((V. par exemple le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).)).
La figure du « Haut commissaire » est beaucoup plus rare que celles qui viennent d’être évoquées. Des Hauts commissariats, souvent de courte durée, sont parfois créés en lien avec un ministère ou avec les services du Premier ministre, pour mener à bien une mission d’une importance politique particulière. C’est le cas récemment du Haut-commissaire au plan, créé en 2020 afin « d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat » afin d’éclairer les choix des pouvoirs publics ((V. Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un haut-commissaire au plan.)).