A./ Origine et composition du Tribunal des conflits

 Loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État, article 25 (abrogé)

 « Les conflits d’attribution entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire sont réglés par un tribunal spécial composé :

1° du garde des sceaux, président ; 2° de trois conseillers d’Etat en service ordinaire élus par les conseillers en service ordinaire ; 3° de trois conseillers à la Cour de cassation nommés par leurs collègues ; 4° de deux membres et de deux suppléants qui seront élus par la majorité des autres juges désignés aux paragraphes précédents.

Les membres du tribunal des conflits sont soumis à réélection tous les trois ans et indéfiniment rééligibles.

Ils choisissent un vice-président au scrutin secret à la majorité absolue des voix.

Ils ne pourront délibérer valablement qu’au nombre de cinq membres présents au moins ».

 

Nouveaux article 1 à 16 de la loi du 24 mai 1872 issus de la loi du 16 février 2015

« Art. 1.-Les conflits d’attribution entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont réglés par un Tribunal des conflits composé en nombre égal de membres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation.

« Art. 2.-Dans sa formation ordinaire, le Tribunal des conflits comprend :

« 1° Quatre conseillers d’Etat en service ordinaire élus par l’assemblée générale du Conseil d’Etat ;

« 2° Quatre magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élus par les magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation ;

« 3° Deux suppléants élus, l’un par l’assemblée générale du Conseil d’Etat parmi les conseillers d’Etat en service ordinaire et les maîtres des requêtes, l’autre par l’assemblée générale des magistrats du siège de la Cour de cassation parmi les conseillers hors hiérarchie et référendaires.

« Les membres du Tribunal des conflits sont soumis à réélection tous les trois ans et rééligibles deux fois. Lorsqu’un membre titulaire ou suppléant cesse définitivement d’exercer ses fonctions, il est procédé à son remplacement jusqu’à la fin du mandat en cours dans les conditions prévues aux 1°, 2° ou 3°, selon le cas.

 « Art. 3.-Les membres mentionnés aux 1° et 2° de l’article 2 choisissent parmi eux, pour trois ans, un président issu alternativement du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, au scrutin secret à la majorité des voix.

« En cas d’empêchement provisoire du président, le tribunal est présidé par le membre le plus ancien appartenant au même ordre de juridiction.

« En cas de cessation définitive des fonctions du président, le tribunal, alors complété dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 2, est présidé par un membre du même ordre, choisi dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, pour la durée du mandat restant à courir.

 « Art. 4.-Deux membres du Conseil d’Etat, élus par l’assemblée générale du Conseil d’Etat parmi les rapporteurs publics, et deux membres du parquet général de la Cour de cassation, élus par l’assemblée générale des magistrats hors hiérarchie du parquet général parmi eux, sont chargés des fonctions de rapporteur public.

« Ils sont élus pour trois ans et rééligibles deux fois.

« Le rapporteur public expose publiquement et en toute indépendance son opinion sur les questions que présentent à juger les affaires dont le Tribunal des conflits est saisi.

 « Art. 5.-Sous réserve de l’article 6, le Tribunal des conflits ne peut délibérer que si cinq membres au moins sont présents.

 

B./ Saisine et attributions du Tribunal des conflits

 Malgré la récente réforme les textes applicables restent anciens et nombreux.

  • Ordonnance du 1er juin 1828
  • Décret du 26 octobre 1849, portant règlement d’administration publique déterminant les formes de procédure du tribunal des conflits, mod. par décret n° 60-728 du 25 juillet 1960
  • Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
  •  Décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles

 

1) Les conflits positifs

 

Déclinatoire de compétence

 Loi de 1972, article 13 :

 Lorsque le représentant de l’Etat dans le département ou la collectivité estime que la connaissance d’un litige ou d’une question préjudicielle portée devant une juridiction de l’ordre judiciaire relève de la compétence de la juridiction administrative, il peut, alors même que l’administration ne serait pas en cause, demander à la juridiction saisie de décliner sa compétence.

 Nouveau chapitre II du décret du 27 février 2015

Article 19 :

« Dans le cas prévu à l’article 13 de la loi du 24 mai 1872 susvisée, le préfet adresse au greffe de la juridiction saisie un déclinatoire de compétence. A peine d’irrecevabilité, ce déclinatoire doit être motivé.

Les parties en sont informées par le greffe et sont invitées à faire connaître leurs observations écrites dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la notification du greffe.

Le greffe communique l’affaire au ministère public afin qu’il puisse faire connaître son avis dans le même délai. Dès réception, le greffe porte cet avis à la connaissance du préfet et des parties par lettre remise contre signature.

Le délai prévu aux alinéas précédents peut être réduit par le président de la juridiction saisie, en cas d’urgence ».

 

Arrêté de conflit

 Article 22 du décret de 2015 :

 « Si ce jugement a rejeté le déclinatoire, le préfet peut élever le conflit par arrêté dans les quinze jours suivant la réception du jugement. Le conflit peut également être élevé si le tribunal a, avant expiration de ce délai, passé outre et jugé au fond.

Si le jugement a admis le déclinatoire et si une partie fait appel du jugement, le préfet peut saisir la juridiction d’appel d’un nouveau déclinatoire et, en cas de rejet de celui-ci, élever le conflit dans les mêmes conditions qu’en première instance ».

 

NB un cas rare qui n’existe plus : empécher que le juge judiciaire ne juge en dehors de sa compétence, sans que la juridiction administrative ne soit elle-même compétente, par exemple en cas d’acte de gouvernement :

 TC 2 février 1950, Radio-Andorre, p. 652

 Loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État, article 26 (abrogé)

 « Les ministres ont le droit de revendiquer devant le tribunal des conflits les affaires portées à la section du contentieux et qui n’appartiendraient pas au contentieux administratif.

Toutefois, ils ne peuvent se pourvoir devant cette juridiction qu’après que la section du contentieux a refusé de faire droit à la demande en revendication qui doit lui être préalablement communiquée. »

 

Cet article a été abrogé par la loi du 16 février 2015.

 

 2) Conflit négatif

La procédure de conflit négatif

 Décret du 26 octbre 1849, article 17 (abrogé)

 « Lorsque l’autorité administrative et l’autorité judiciaire se sont respectivement déclarées incompétentes sur la même question, le recours devant le tribunal des conflits, pour faire régler la compétence, est exercé directement par les parties intéressées.

Il est formé par requête signée d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Les requêtes et mémoires doivent être accompagnés, en vue des communications, de copies, certifiées conformes par les avocats signataires desdits requêtes et mémoires ; si ces copies n’ont pas été produites, le secrétaire du tribunal des conflits met l’avocat de la partie intéressée en demeure de les produire à peine d’irrecevabilité desdits requêtes et mémoires. »

 Décret du 27 février 2015, article 37

 « Lorsque les juridictions de chacun des deux ordres se sont irrévocablement déclarées incompétentes sur la même question, sans que la dernière qui a statué n’ait renvoyé le litige au Tribunal des conflits, les parties intéressées peuvent le saisir d’une requête aux fins de désignation de la juridiction compétente.

La requête expose les données de fait et de droit ainsi que l’objet du litige et est accompagnée de la copie des décisions intervenues ».

 Le lien est désormais plus direct avec le Tribunal, qui n’est pas saisi par le biais du CE ou de la C. Cass.

L’article prend en compte également la possibilité d’une prévention du conflit négatif (traité plus haut dans le décret et ci-dessous dans le cours).

 La prévention des conflits négatifs

 Décret du 26 octobre 1849, article 34 (abrogé)

 « Lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif a, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l’ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l’autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que ledit litige ressortit à l’ordre de juridictions primitivement saisi, doit, par un jugement motivé qui n’est susceptible d’aucun recours même en cassation, renvoyer au tribunal des conflits le soins de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal. »

 

 Décret du 27 févirer 2015, article 32

 « Lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif a, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l’ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l’autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l’ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision du tribunal ».

 

 3) Règlement d’une difficulté sérieuse de compétence

 Décret du 26 octobre 1849, article 35 Décret 2015 art. 35

 « Lorsque le Conseil d’Etat statuant au contentieux, la Cour de cassation ou toute autre juridiction statuant souverainement et échappant ainsi au contrôle tant du Conseil d’Etat que de la Cour de cassation, est saisi d’un litige qui présente à juger, soit sur l’action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires, la juridiction saisie peut, par décision ou arrêt motivé qui n’est susceptible d’aucun recours, renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. Il est alors sursis à toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal. »

 4) Jugement d’une affaire au fond

 TC 8 mai 1933, Rosay, p. 1236

 Présentation par P. Tifine, RGD :

 « Or, dans certains cas, extrêmement rares, c’est bien un conflit au fond aboutissant à un déni de justice pour le requérant qui survient entre les deux ordres de juridiction, ce qui était notamment le cas dans la célèbre affaire Rosay. Un individu avait été blessé lors d’une collision entre un véhicule privé et un véhicule militaire. La victime a alors intenté une action en responsabilité devant le juge judiciaire contre le conducteur du véhicule privé. Le juge judiciaire s’est estimé compétent, puisque était mise en cause une personne privée, mais il rejeta sa demande au motif que l’accident n’était pas imputable au conducteur du véhicule privé. La victime s’est alors dirigée vers le juge administratif. Le juge administratif s’estime compétent, puisque c’est l’Etat qui est mis en cause. Cependant, le Conseil d’Etat rejeta la demande du requérant au motif que l’accident n’était pas imputable au conducteur du véhicule militaire.

Dans une telle hypothèse, on aboutit à un déni de justice : il n’y a pas de doute sur le fait que la victime doit être indemnisée, mais les décisions contradictoires sur le fond des juges des deux ordres de juridiction ne lui permettent pas d’obtenir satisfaction. Il ne s’agit pas de conflits de compétence et, par conséquent, le Tribunal des conflits ne peut être saisi sur le fondement du décret du 26 octobre 1849.

L’affaire Rosay a fait scandale ce qui a conduit à l’adoption de la loi du 20 avril 1932 qui charge le Tribunal des conflits de juger au fond ce type d’affaires. Cette loi s’est d’ailleurs vue doter d’un caractère rétroactif pour pouvoir s’appliquer à l’affaire Rosay (V. TC, 8 mai 1933, Rosay : Rec. p. 1236 ; DH 1933, p. 336 ; S. 1933, III, p.117) ».

 Contrariété provenant d’une difference d’appréciation des faits ou de droit entre les deux orders de juridiction.

 Loi du 20 avril 1932 ouvrant un recours devant le tribunal des conflits contre les décisions définitives rendues par les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs lorsqu’elles présentent contrariété aboutissant a un déni de justice (sic) (loi abrogée par la loi du 16 février 2015)

 Article 1er

« Peuvent être déférées au Tribunal des conflits, lorsqu’elles présentent contrariété conduisant à un déni de justice, les décisions définitives rendues par les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires dans les instances introduites devant les deux ordres de juridiction, pour des litiges portant sur le même objet ».

 Article 4

« Sur les litiges qui lui sont déférés en vertu des articles qui précèdent, le Tribunal des conflits juge au fond, à l’égard de toutes les parties en cause ; il statue également sur les dépens des instances poursuivies devant les deux ordres de juridictions. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours ».

 Ces dispositions ont été abrogées par la loi du 16 février 2015.

 

Nouvelles dispositions :

 Nouvel article 15 de la loi de 1872, créé par la loi du 16 février 2015 :

 « Article 15 : Le Tribunal des conflits peut être saisi des décisions définitives rendues par les juridictions administratives et judiciaires dans les instances introduites devant les deux ordres de juridiction, pour des litiges portant sur le même objet, lorsqu’elles présentent une contrariété conduisant à un déni de justice.

 Sur les litiges qui lui sont ainsi déférés, le Tribunal des conflits juge au fond, à l’égard de toutes les parties en cause. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours ».