Les dix-sept articles de la Déclaration constituent des éléments essentiels du droit constitutionnel français contemporain. Aucun d’entre eux n’est restreint dans un rôle purement déclaratoire : ils ont tous un impact sur le droit positif.

Article 1 : Principe général d’égalité

Le principe d’égalité, si important en droit français, se retrouve sous trois formes dans la Déclaration : à l’article 1er sous la forme d’une déclaration générale, à l’article 6 sous la forme du principe d’égalité devant la loi, à l’article 13 dans l’égalité devant les charges publiques. C’est sans conteste l’article 6 qui a le plus d’influence sur le droit positif.

Aux termes de l’article 1er de la Déclaration : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Etrangement, par son caractère très général l’article 1er, si important symboliquement, n’a que peu d’applications en droit constitutionnel positif. Sur le plan symbolique, cet article condamne le système des privilèges de l’Ancien Régime est légitime les nouvelles distinctions sociales fondées sur l’utilité commune. Le Conseil constitutionnel fait parfois appel à cet article comme « argument d’appui à portée symbolique forte »  (Thierry Renoux, Michel de Villiers et Xavier Magnon, Code constitutionnel, édition 2019.). Il a été utilisé pour la première fois en 2007 à l’occasion du contrôle d’une loi relative aux contrôles ADN des mineurs étrangers  (CC, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Verpeaux, Michel, « Des jurisprudences classiques au service de la prudence du juge. A propos de la décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile », La Semaine juridique. Édition générale, 2008, n° 1, p. 20-24.). Son usage semble depuis être réservé aux questions ayant des résonnances ethniques  (V. pour son utilisation concernant une loi portant sur les gens du voyage : CC 5 octobre 2012, n° 2012-279 QPC, cons. 12 et 13).).

Article 2 : Les droits naturels et imprescriptibles de l’homme

L’article 2 de la Déclaration établit une liste de quatre droits naturels et imprescriptibles de l’homme : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Ces quatre droits sont ici énoncés à titre général et sont protégés par ailleurs, soit directement dans la Déclaration, soit dans d’autres dispositions constitutionnelles.

La liberté

La liberté, outre à l’article 2, est protégée aux article 4 DDHC (liberté d’entreprendre, liberté contractuelle) 11 DDHC (liberté de communication, liberté d’expression). Elle est protégée par les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République évoqués à l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946 et dégagés par le Conseil constitutionnel et plus précisément la liberté d’association, la liberté individuelle , la liberté d’enseignement , la liberté de conscience. La liberté syndicale est garantie à l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946. La Constitution de 1958 garantit à l’alinéa 2 de son préambule et à son article 53 la libre détermination des peuples ; l’article 3 C garantit la liberté du suffrage ; l’article 4 C garantit la liberté de formation des partis et groupements politiques. L’article 66 garantit la liberté individuelle. L’article 72 C enfin, garantit la libre administration des collectivités territoriales.

Nous venons de citer la liberté individuelle de l’article 66 C. Il est ici nécessaire d’apporter des précisions terminologiques et notionnelles.

Sur le plan terminologique il est nécessaire de distinguer la liberté individuelle (au singulier) et les libertés individuelles (au pluriel). Le terme « liberté individuelles » au pluriel désigné l’ensemble des droits et libertés fondamentaux attachés à l’individu par opposition aux « libertés collectives » qui, reconnues à un groupe d’individus, déterminent une forme d’exercice collectif de certains doits et libertés, comme la liberté d’association ou la liberté de réunion  (V. Favoreu, 14ème édition, p. 819).  La « liberté individuelle » désigne la protection de l’individu contre les formes de limitation de sa liberté « corporelle » ou la détermination d’un espace intime de l’individu, inviolable par les pouvoirs publics.

A cet égard une évolution a eu lieu et un glissement notionnel a été opéré par le Conseil constitutionnel. Si les articles 2 et 4 de la Déclaration protègent la liberté personnelle, l’article 66 C confie au juge judiciaire la protection de la liberté individuelle. Les deux notions ont pu un temps paraître équivalentes mais il n’en est rien. L’interprétation initiale de la notion de liberté individuelle de l’article 66 C était large. Par exemple dans sa décision dite « fouille des véhicules » de 1977 le Conseil constitutionnel rattache la protection du véhicule privé à la liberté individuelle  (CC, décision 76-75 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales (« Fouille de véhicules »).). Dans sa décision du 13 août 1993 le Conseil constitutionnel considère que sont des composantes de la liberté individuelle notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale (cons. 3) et l’inviolabilité du domicile (cons. 9)  (CC, décision 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.). Le Conseil constitutionnel va progressivement détacher de la liberté individuelle le respect de la vie privé  (CC, décision 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, cons. 60 et 62.), la liberté d’aller et venir   (CC, décision 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 2 et 20.), l’inviolabilité du domicile pour les rattacher aux articles 2 et 4 DDHC  (CC, décision 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 8. CC, décision 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 4.).

Il résulte de ces évolutions que la liberté individuelle de l’article 66 est limitée aux mesures restreignant strictement la liberté corporelle de l’individu (essentiellement emprisonnement ou hospitalisation d’office, assignations à domicile pour une durée de plus de 12 heures par jour  (CC, QPC, 22 décembre 2015, décision n° 2015-527.)). Elle correspond à la sûreté visée à l’article 2.

La sûreté

Nous venons de le dire, la sûreté est une forme particulière de liberté : elle correspond dans sa forme actuelle à la liberté individuelle de l’article 66 de la Constitution.

La propriété

La consécration de la propriété comme droit naturel et imprescriptible marque évidemment l’attachement des révolutionnaires à la garantie de la propriété privée mais également à toutes ses implications directes et indirectes, notamment la liberté d’entreprendre. La Déclaration protège la propriété à deux endroits : à l’article 2 qui vise par son caractère très général englobe toutes les atteintes à la propriété et l’article 17 (v. infra) qui défend l’individu contre les privations de sa propriété  (Sur la distinction entre atteintes au droit de propriété et privation du droit de propriété, v. par exemple : CC, 1er août 2013, décision 2013-337 QPC.).

La résistance à l’oppression

Le contenu précis de la résistance à l’oppression est difficile à déterminer. La consécration de ce droit naturel de l’homme est probablement marquée par l’histoire et la volonté de justifier la désobéissance civile contre les abus du pouvoir monarchique. Si le Conseil constitutionnel a consacré sa valeur juridique de manière incidente  (Dans sa célèbre décision « Loi de nationalisation », le Conseil constitutionnel se contente en réalité de constater que la résistance à l’oppression est mise au même rang que le droit de propriété. CC, 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC « Loi de nationalisation », cons. 16.) il n’a jamais eu l’occasion d’en déterminer le contenu.

Article 3 : Le principe de la souveraineté nationale

Aux termes de l’article 3 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Nous avons vu par ailleurs que la référence à la souveraineté de la nation plutôt qu’à la souveraineté du peuple avait permis aux révolutionnaires de 1789 de consacrer le suffrage censitaire : si la souveraineté appartient à la nation et pas au peuple, le vote n’est pas un droit mais une fonction.

Le contenu que l’on peut donner à l’article 3 DDHC a été renouvelé par les textes ultérieurs, notamment la Constitution du 27 octobre 1946 dont l’article 3 alinéa 1er dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple français ». L’alinéa 1 du préambule de la constitution de 1958 énonce que « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 […] » tandis que l’article 3 de la Constitution énonce que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La garantie de la souveraineté nationale implique d’abord que l’expression de sa volonté par le peuple, par la voie du referendum, prive le Conseil constitutionnel de la possibilité d’exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi. Quand le peuple s’exprime directement, c’est le souverain qui parle  (Le Conseil constitutionnel refuse d’examiner la constitutionnalité d’une loi référendaire qui modifie la constitution, même selon une procédure qui semble inconstitutionnelle. CC 6 novembre 1962, décision 62-20 DC. V. aussi CC, 23 septembre 1992, décision 92-313 DC.). La souveraineté nationale est par ailleurs assimilée à la garantie de la souveraineté de l’Etat dans l’ordre international. Le Conseil constitutionnel, saisi du contrôle préalable de la compatibilité entre les Traités internationaux et la Constitution sur le fondement de l’article 54 C. est attentif à la garantie des « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »  (C’est par référence aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale que le Conseil constitutionnel examine les abandons de souveraineté entraînés par les traités européens, en particulier depuis le Traité de Maastricht. V. CC 9 avril 1992, décision n° 92-308 DC).

Article 4 : Le rapport entre droit et liberté

L’article 4 consacre le principe de liberté en établissant le rapport, désormais classique, entre droit et liberté : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». L’article 4, lu avec l’article 5 DDHC (v. ci-dessous) établit le principe selon lequel en droit français, « la liberté est la règle et la restriction, l’exception »  (Cette phrase est habituellement attribuée au commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat Baldy du 10 août 1917.).

Nous avons déjà eu l’occasion de la souligner, cette définition de la liberté est un chef d’œuvre par sa clarté et sa concision. C’est également un tour de force d’avoir garanti la liberté tout en posant comme corollaire nécessaire et immédiat le respect de la loi. Nous n’y reviendrons pas.

Notons par ailleurs que l’article 4 DDHC est loin d’être le seul article à garantir une liberté au sein des sources constitutionnelles françaises. Sans vouloir être exhaustif, notons la liberté individuelle (art. 2 DDHC, art. 66 C), le droit au respect de la vie privée (art. 2 DDHC), la liberté d’association (v. PFRLR), la liberté d’enseignement (v. PFRLR), la liberté de conscience et d’opinion (art. 10 DDHC, art. 5 préambule 1946), liberté d’expression et de communication (même fondement).

Selon le Conseil constitutionnel, l’article 4 DDHC fonde plus spécifiquement la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle ainsi que les principes de responsabilité et de réparation civiles.

La liberté d’entreprendre implique la liberté d’accès et la liberté d’exercice d’une profession ou d’une activité économique  (CC, 30 novembre 2012, décision n° 2012-285 QPC, cons. 7.). C’est le pendant constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie. Le Conseil constitutionnel accepte assez largement les atteintes à la liberté d’entreprendre qui doit fréquemment être conciliée avec d’autres droits et libertés ou des considérations d’intérêt général comme la lutte contre le tabagisme  (CC, 8 janvier 1991, décision n° 90-283 DC, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, cons. 15.), ou la limitation du travail de nuit pour des raisons là encore de santé publique  (CC, 4 avril 2014, décision n° 2014-373 QPC, Société Sephora [Conditions de recours au travail de nuit], cons. 14 à 17.). Le Conseil constitutionnel exerce dans ce domaine un classique contrôle de proportionnalité en considérant « qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »  (CC, 16 janvier 2001, décision n° 2000-439 DC, Loi relative à l’archéologie préventive, cons. 4.).

La liberté contractuelle a été élevée au rang constitutionnel assez récemment avant même d’être énoncée explicitement à l’article 1102 du code civil  (V. par exemple CC, 13 juin 2013, décision n° 2013-672 DC, Loi relative à la sécurisation de l’emploi, cons. 6.). Le Conseil constitutionnel, se fondant sur l’article 4 DDHC reconnait la liberté de contracter ou de ne pas contracter d’une part, et le droit au maintien des conventions légalement conclues qu’il assoit également sur l’article 16 DDHC (v. infra)  (CC, 13 juin 2013, décision n° 2013-672 DC, précité, cons. 6.). Les modalités de protection de la liberté contractuelle sont comparables à celles de la liberté d’entreprendre, il est possible d’y porter atteinte pour assurer d’autres exigences constitutionnelles à condition que l’atteinte soit proportionnée à l’objectif poursuivi  (Ibid.).

L’article 4 DDHC est enfin le fondement direct d’un principe de responsabilité personnelle. Le Conseil constitutionnel l’énonce dans un considérant qui frappe pas sa clarté : […] nul n’ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »  (CC 22 octobre 1982, décision n° 82-144 DC, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, cons. 3.) élevant au rang constitutionnel le principe classique énoncé à l’ancien article 1382 du code civil (nouvel article 1240). Nous renvoyons aux développements du présent ouvrage consacrés au droit des obligations l’analyse détaillée du contenu de ce principe.

Article 5 : La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société

« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ; et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

Il s’agit d’une disposition de formulation générale dont l’application n’est pas fréquente ou intervient en liaison avec d’autres normes de rang constitutionnel. Ainsi, le Conseil constitutionnel juge que les restrictions, relatives au cumul des fonctions exécutives locales qui ne permettent pas d’exercer simultanément les fonctions de maire, de président d’un conseil général et de président d’un conseil régional, ne sont pas contraire à la première partie de l’article 5 : « [c]onsidérant […] que les incompatibilités critiquées ne sont contraires ni à l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 […] qu’il était en effet loisible au législateur de renforcer les incompatibilités entre fonctions électives […] » (CC, 30 mars 2000, décision n°2000-426 DC, Loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d’exercice, cons. 5.).

La seconde phrase de l’article 5 formule le principe selon lequel la liberté est la règle générale et les dispositions restrictives portant sur les modalités d’exercice d’une liberté ne doivent pas être disproportionnées. Dès 1982, sans se référer explicitement à cet article de la DDHC, le Conseil conclut que « cette réglementation, qui répond dans des circonstances données à la sauvegarde de l’ordre public, ne doit pas excéder ce qui est nécessaire à garantir l’exercice d’une liberté » (CC, 27 juillet 1982, décision n°82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle, cons. 4. ). Par la suite, les Sages voient en l’article 5 combiné aux articles 4, 6 et 16 DDHC le fondement de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (CC, 16 décembre 1999, décision n°99-421 DC, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13.). Le principe d’intelligibilité de la loi dont fait partie l’exigence de clarté de la loi commande au législateur de garantir des dispositions normatives exemptes d’une interprétation contraire à la Constitution et contre le risque d’arbitraire en adoptant des règles législatives suffisamment précises (CC, 27 juillet 2006, décision n°2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 9.).

 Article 6 : Egalité devant la loi

L’article 6, contrairement à l’article 1 a une portée juridique considérable. C’est cet article qui, historiquement, fonde le principe d’égalité en droit constitutionnel français. Ses usages, par le juge administratif aussi bien que par le juge constitutionnel, sont innombrables.

Aux termes de l’article 6 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Le Conseil constitutionnel a en réalité tiré deux séries de principes de cet article. De la première phrase découle une obligation générale de qualité de la loi. Les phrases 2, 3 et 4 fondent le principe d’égalité sous ses différentes formes.

Une obligation générale de qualité de la loi

L’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi découle principalement de l’article 6, même si le Conseil constitutionnel se réfère ensemble aux articles 4,5, 6 et 16. Le Conseil constitutionnel a par exemple jugé que l’égalité devant la loi énoncée à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables.  Une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (CC 16 décembre 1999, décision 99-421 DC, considérant 13). Ce principe impose que le législateur adopte des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (CC, 29 avril 2004, décision n° 2004-494 DC, considérant 10).

De l’article 6, le Conseil constitutionnel a également déduit un autre principe : celui du caractère normatif de la loi. La pratique des lois purement déclaratoires s’est développée autour des années 2000. Des lois dites « mémorielles » ont été adoptées, par exemple la loi n°2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de censurer une telle loi mémorielle mais il est évident que le principe qu’il a dégagé, qui est d’application générale, a une résonnance particulière dans ce domaine. Dans une décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, le Conseil constitutionnel a énoncé (considérant n° 4) qu’il résultait de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative »  (V. aussi le premier arrêt de principe en la matière : CC 29 juillet 2004, n° 2004-500 DC, considérant 12.). Afin de permettre au Parlement de s’exprimer de manière symbolique la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution un article 34-1 dont l’alinéa 1er dispose que « Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ». Une résolution n’a aucun caractère normatif.

Le principe d’égalité

Comme nous l’avons exposé supra, le principe d’égalité est l’un des principes structurants de l’ordre juridique français. Sujet à d’innombrables adaptations et compromis en raison même de son champs d’application, il irrigue la plupart des domaines du droit public.

Précisons en premier lieu que le principe d’égalité devant la loi ne renvoie pas à la « loi » (Gesetz) mais à l’ensemble des normes générales et impersonnelles : les textes législatifs votés par le Parlement, les actes réglementaires adoptés par l’exécutif national, les actes réglementaires adoptés par les exécutifs locaux. Il s’agit donc la loi « loi » au sens matériel et non au sens organique.

Il convient d’ajouter que si l’article 6 de la Déclaration est l’expression la plus ancienne et la plus importante du principe d’égalité, on retrouve ce principe dans de nombreux autres textes constitutionnels : à l’alinéa 1er du préambule de la Constitution de 1946 (réaffirmation de l’égalité de tous les êtres humains sans distinction de race, de religion ni de croyance), à l’alinéa 3 du même texte (égalité entre les femmes et les hommes), à l’article premier de la Constitution de 1958 (égalité devant la loi), article 3 de la Constitution (la souveraineté appartient au peuple dans son ensemble) (v. par ailleurs les développements consacrés au principe d’égalité).

Article 7 : Légalité des délits et des peines

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »

L’article 7 forme, avec l’article 8, un ensemble normatif comportant le principe de légalité en matière pénale. Le contenu de l’article 7 se retrouve dans le Code pénal de 1810 (article 111-3) qui dispose que « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement ».

Article 8 : Légalité des délits et des peines, proportionnalité et non-rétroactivié

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Il résulte de l’article 8 qu’aucune peine ne peut être prononcée si le principe de la légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ne sont pas respectés. 

L’article 8 fait directement écho au principe lié au droit pénal « Nullum crimen, nulla poena sine lege » (Nulle peine sans crime, nulle peine sans loi) qui signifie que le législateur possède la compétence répressive. En effet, dans la Déclaration, l’article 7 et l’article 8 constituent une application directe de cette maxime de droit pénal en étendant son champ d’application au domaine procédural. Ces principes sont applicables « à toute sanction ayant le caractère de punition » prononcée par un juge ou par une autorité administrative (privation de liberté, amendes…) (CC, 17 janvier 1989, décision n°88-248 DC, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons. 35 : « Considérant que ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ». ). Les sanctions peuvent également être de nature financière sans qu’elles soient constitutives d’une amende (majorations fiscales ou réparations) ou de nature disciplinaire, revêtir la forme d’une interdiction ou d’un retrait d’autorisation.

La nécessité des peines doit être entendue à la lumière de l’article 5 DDHC : seules les actions nuisibles à la société peuvent être pénalement sanctionnées.

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est introduit dans les déclarations de l’époque révolutionnaire postérieure à la DDHC : l’article 14 de la Déclaration de 1793, l’article 14 de la Déclaration de l’an III. Plus tardivement, la Déclaration d’avril 1946, dans son article 10, dispose de manière plus générale que « la loi ne peut avoir un effet rétroactif » en ne ciblant pas expressément le domaine du droit pénal. Le principe défini à l’article 8 DDHC ne s’applique qu’en matière répressive (CC, 29 décembre 1989, décision n°89-268 DC, Loi de finances pour 1990, cons. 39 : « Considérant, d’autre part, que le principe de non-rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive […] ». ) et contient deux règles : la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Dans l’hypothèse de la première règle, la date de la commission de l’infraction est importante : si elle est postérieure à l’entrée en vigueur de la loi plus sévère, le principe de non-rétroactivité ne s’applique pas et la loi plus sévère sera appliquée ; si, en revanche, l’infraction est antérieure à la loi plus sévère, cette dernière ne s’appliquera pas. Toutefois, certaines zones d’ombre subsistaient avant l’introduction en droit français de la question prioritaire de constitutionnalité permettant un contrôle a posteriori de la loi. Le juge pénal refusait ainsi d’appliquer l’article 8 DDHC si le législateur avait décidé que la loi d’application de peines plus sévères s’appliquait de manière rétroactive (Cass. crim., 12 juin 1989, n°87-85. 197, Bull. crim., 1989, n°251, p. 622 : « Qu’en effet […], les juges répressifs sont tenus d’appliquer la loi en toutes ses dispositions sans pouvoir en apprécier la constitutionnalité »). Une loi prévoyant son application rétroactive qui n’avait pas fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori en vertu de l’article 61 C s’appliquait excepté les cas où le juge contrôlait la conventionnalité de la disposition législative conformément à l’article 55 C.

Le pendant du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère est celui de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Pourtant, il n’est pas mentionné expressis verbis ni dans la DDHC ni dans une autre disposition de valeur constitutionnelle. Le nouveau Code pénal le consacre au rang législatif : « Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes » (article 112-1).

Article 9 : Présomption d’innocence

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

L’article 9 consacre le principe de présomption d’innocence. Le Conseil constitutionnel intervient le plus souvent en matière de procédure pénale (CC, 21 février 2008, décision n°2008-672 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 12 : « Considérant que la rétention de sûreté et la surveillance ne sont pas des mesures répressives ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de la présomption d’innocence est inopérant ».) en faisant référence à la présomption d’innocence qui est longtemps restée occultée par les textes de nature pénale. À titre d’exemple, le Code de procédure pénale n’y faisait aucune référence jusqu’à la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ». L’article 9 déclare également le principe de proportionnalité des restrictions de liberté individuelle. Plus intéressant encore, le Conseil constitutionnel, en procédant à une lecture combinée de l’article 9 et de l’article 8, conclut au principe de la nécessité de l’existence d’un élément moral intentionnel ou non de l’infraction faisant l’objet d’une sanction. 

La procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » de l’article 495-7 du Code de procédure pénale semblait poser des difficultés au regard du principe de la présomption d’innocence car il n’est pas sûr qu’en mettant en application ce mécanisme, apparenté au « plaider coupable » existant dans d’autres ordres juridiques, la culpabilité (reconnue) puisse vraiment être établie. Le Conseil constitutionnel valide pourtant le dispositif en décidant que « ni cette disposition ni aucune autre de la Constitution n’interdit à une personne de reconnaître librement sa culpabilité » (CC, 2 mars 2004, décision n°2008-562 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 12. ).

Le principe de proportionnalité possède un champ d’application plus étendu que le principe de nécessité des peines de l’article 8. Il s’applique à toutes les sanctions présentant les caractéristiques d’une punition : les mesures de rétention administrative, de rétention judiciaire, la garde à vue, la détention provisoire (CC, 13 mars 2003, décision n°2003-467 DC, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 54 ; CC, 30 juillet 2010 décision n°2010-14/22 QPC, cons. 29 : « […] la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ».).

Enfin, il résulte de l’article 8 combiné avec l’article 8 que la culpabilité ne peut être la conséquence de la seule imputabilité matérielle des actes sanctionnés. Il convient de rechercher l’élément moral de l’infraction (CC, 16 juin 1999, décision n°99-411 DC, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 16 : « Considérant […] qu’il résulte de l’article 9 […], s’agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l’article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l’article 8 […], la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci ».).

Article 10 : Liberté d’opinion et liberté de conscience

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

La liberté d’opinion et la liberté de conscience (mot qui n’est pas expressément mentionné) peuvent être qualifiées des libertés « intérieures » et « ne connaissent de limitations que lors de leur extériorisation » (Michel Lascombe, avec la participation de Xavier Vandendriessche et Christelle de Gaudemont, Code constitutionnel et des droits fondamentaux commenté, 2e édition, Dalloz, 2013, p. 176 s. ). Cet aspect extérieur fait partie de la liberté d’expression et de communication de l’article 11 de la Déclaration. Le Conseil constitutionnel a considéré dans un premier temps que la liberté de conscience était un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 novembre 1977, décision n°77-87 DC, Loi relative à la liberté de l’enseignement, cons. 5.) pour se référer ensuite à l’article 10 (CC, 27 juin 2001, décision n°2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 13 : « Considérant qu’aux termes de l’article 10 […] ; que la liberté de conscience constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».).

La liberté d’opinion et la liberté de conscience trouvent à s’appliquer dans le domaine de la fonction publique ou encore en droit du travail. S’agissant de la fonction publique, la liberté d’opinion doit être tempérée par l’obligation de réserve qui incombe aux agents conformément à leur statut et la liberté de conscience peut être exercée par les fonctionnaires mais cet exercice doit être concilié avec l’obligation de neutralité.

En ce qui concerne le droit du travail (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, Rec., p. 308.), l’article 10 est repris par le préambule de la Constitution de 1946 (article 5) : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » et par le Code du travail (article L. 1132-1) : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement […] en raison de […] ses opinions politiques, […] de ses convictions religieuses ».

Article 11 : liberté de communication

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Le Conseil constitutionnel qualifié la liberté de communication de « liberté fondamentale » et d’une condition de la démocratie et l’une des garantis du respect des autres droits et libertés (CC, 11 octobre 1984, décision n°84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 37). Le champ d’application de cet article est large et concerne la presse écrite, mais également la communication audio-visuelle ou les nouvelles formes de communication électronique. Cependant, l’application de cette disposition varie en fonction du média visé. La presse écrite jouit d’une liberté pleine et entière dont l’exercice n’est limité qu’en cas d’abus. Le Conseil constitutionnel constitutionnalise la possibilité de publier un journal sans autorisation (CC, 11 octobre 1984, décision n°84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 81.). Les médias audiovisuels sont soumis à une autorisation d’émettre mais « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (CC, 10 juin 2009, décision n°2009-580 DC, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, cons. 15. ). La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est la base légale de possibles restrictions apportées à l’exercice de la liberté de communication : le chapitre IV porte sur les « crimes et délits commis par voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». La liberté de la communication doit être conciliée avec deux objectifs de valeur constitutionnelle : le respect de la liberté d’autrui et l’ordre public (CC, 27 juillet 1982, décision n°82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle, cons. 5 : « Considérant qu’ainsi il appartient au législateur de concilier, en l’état actuel des techniques et de leur maîtrise, l’exercice de la liberté de communication telle qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration […] avec […] les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels […] ».).

Article 12 : Nécessité de la force publique

« La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Cette disposition n’est pas utilisée par le Conseil constitutionnel. Elle indique la nécessité de la force publique pour garantir les droits de l’homme. Il est possible d’en déduire qu’il s’agit d’un instrument qui permet l’application des autres dispositions de la Déclaration. La garantie des droits et l’éventuelle sanction de leur non-respect sont les fondements de l’État de droit. Le juge est l’autorité qui garantit ce respect et la force publique peut être demandée afin de faire exécuter les décisions de justice. L’article 12 se lit en parallèle avec l’article 16 qui conditionne la Constitution à la garantie des droits et au principe de séparation des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel juge que les mesures d’exécution forcée prévues par une loi ne sont mises en œuvre qu’en cas de nécessité et que l’emploi de la force publique doit être proportionné à la menace de l’ordre public (CC, 9 janvier 1980, décision n°79-109 DC, Loi relative à la prévention de l’immigration clandestine, cons. 5 ; CC, 19 janvier 1981, décision n°80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 59.). Par ailleurs, la délégation à une personne privée « des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique » dans le cadre de vidéosurveillances effectuée par des opérateurs privés est contraire à la Constitution (CC, 10 mars 2011, décision n°2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 19 : »[…] en confiant à des opérateurs privés le soin d’exploiter des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique et de visionner des images pour le compte de personnes publiques, les dispositions contestées permettent d’investir des personnes privées de missions de surveillance générale de la voie publique ; chacune de ces dispositions rend ainsi possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la ‘force publique’ nécessaire à la garantie des droits ». ).

Article 13 : Egalité devant les charges publiques

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

La « contribution » désigne ici l’impôt et sert à couvrir les charges traditionnelles de l’État : police, justice, diplomatie, guerre. Le Conseil constitutionnel conclut que ces activités régaliennes ne peuvent pas être financées par des revenus d’origine privée (CC, 10 mars 20211, décision n°2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 66 : « […] les fonds de concours sont constitués notamment par des ‘fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques pour concourir à des dépenses d’intérêt public’ ; que les modalités de l’exercice des missions de police judiciaire ne sauraient toutefois être soumises à la volonté de personnes privées ; que, par suite, en créant un fonds de soutien à la police technique et scientifique et en lui affectant des contributions versées par les assureurs, l’article 10 méconnaît les exigences constitutionnelles résultant des articles 12 et 13 de la Déclaration de 1789 ».). L’article 13 impose une égalité entre les citoyens, mais pas l’identité de traitement en soulignant la possibilité d’un traitement en fonction de « leurs facultés » : une répartition équitable plutôt qu’égale des charges publiques. L’égalité devant la loi fiscale est en ce sens différente du principe général d’égalité devant la loi. Le principe d’égalité devant les charges publiques signifie que l’impôt sur le revenu doit être progressif sans pour autant indiquer un seuil de progressivité. Le Conseil constitutionnel contrôle le principe d’égalité devant les charges publiques, mais reconnaît en même temps l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale résultant de l’article 13 (CC, 29 décembre 1983, décision n°83-164 DC, Loi de finances pour 1984, cons. 27 : « Considérant qu’il découle nécessairement de ces dispositions ayant force constitutionnelle que l’exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni entraver la légitime répression […] ». ). Le champ d’application de cette disposition est étendu au-delà du domaine fiscal. Ainsi, dans les cas d’indemnisations de préjudices ou de sujétions. L’égalité devant les charges publiques ouvre la voie à l’engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment de l’État (Tribunal des conflits, 8 février 1873, Blanco, Rec., 1er supp., p. 61. ). C’est également sur ce fondement que le juge administratif indemnise le préjudice subi du fait d’une loi dans le cadre du régime de responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques (CE, Ass., 14 janvier 1938, La Fleurette, Rec., p. 25. ). Le Conseil constitutionnel reconnaît que la loi peut causer un préjudice qu’il convient d’indemniser (CC, 18 janvier 1985, décision n°84-182 DC, Loi relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’entreprise, cons. 10, admet le principe, mais considère qu’en l’espèce le préjudice « ne présente qu’un caractère éventuel ».). L’indemnisation des sujétions imposées par la loi est comparable à celui exercé dans l’hypothèse d’une loi causant un préjudice résultant de la rupture d’égalité devant les charges publiques : si le législateur fait peser des charges particulières sur un groupe de personnes afin d’améliorer la situation d’autres catégories de personnes ou de tous, l’intensité de la rupture d’égalité ne doit pas être trop élevée, ce qui est examiné par le Conseil dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité des mesures législatives (CC, 30 décembre 1987, décision n°87-237 DC, Loi de finances pour 1988, cons. 21 et 22: « Considérant que les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques proclamés […] dans ses articles 6 et 13, s’appliquent aussi bien dans l’hypothèse où la loi prévoit l’octroi de prestations que dans les cas où elle impose des sujétions ; Considérant qu’il incombe au législateur, lorsqu’il met en œuvre le principe de solidarité nationale de veiller à c que la diversité des régimes d’indemnisation institués par lui n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité de tous devant les charges publiques ».).

Article 14 : Nécessité de l’impôt

« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Dans les décisions du Conseil constitutionnel, les références à l’article 14 sont sporadiques. La nécessité de l’impôt est déduite de l’article 13 de la Déclaration et le Conseil semble appliquer l’article 14 dans les hypothèses de contrôle des impôts affectés au budget général, celui de l’État, mais également au budget des collectivités territoriales, le plus souvent dans le cadre d’examen de lois de finances (CC, 25 juillet 2001, décision n°2001-448 DC, Loi organique relative aux lois de finances, cons. 3 : « Considérant […] que l’examen des lois de finances constitue le cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par cet article de la Déclaration ».). Cette disposition permet au législateur de contrôler l’usage fait par le pouvoir exécutif des impôts, mais intervient également dans le contrôle de la clarté de la loi fiscale. Le Conseil constitutionnel juge qu’une loi fiscale formulée de manière complexe constitue une violation de l’article 14 (CC, 29 décembre 2005, décision n°2005-530 DC, Loi de finances pour 2006, cons. 78 : « Considérant qu’en matière fiscale, la loi, lorsqu’elle atteint un niveau de complexité tel qu’elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l’article 14 de la Déclaration de 1789 ».). Il convient de relever ici que l’article 14 ne fait pas partie des droits et libertés garantis par la Constitution et ne peut dès lors être invoqué dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori et faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité en vertu de l’article 61-1 C (CC, 18 juin 2010, décision n°2010-5 QPC, SNC Kimberly Clark, cons. 4 : « […] que les dispositions de l’article 14 de la Déclaration de 1789 sont mises en œuvre par l’article 34 de la Constitution et n’instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » ;).

Article 15 : Responsabilité des administrateurs

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

De manière comparable à l’article 14, l’article 15 ne garantit aucun droit ou liberté garanti par la Constitution. Il est rarement invoqué dans les décisions du Conseil constitutionnel. Toutefois, ensemble avec les articles 12 et 16, le Conseil y voit un objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice (CC, 10 décembre 2010, décision n°2010-77 QPC, Barta Z., cons.3 : « Considérant […] que la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice qui découle des articles 12,15 et 16 de la Déclaration […] ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité […] ».). Cet objectif de valeur constitutionnelle peut justifier la compétence du législateur pour limiter la portée de certains droits et libertés, mais n’est pas invocable par un justiciable. Le bon fonctionnement de la justice est une garantie de l’État de droit et pour le justiciable la mauvaise administration de la justice doit être entendue non pas comme une atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle mais comme une violation du droit au recours juridictionnel effectif, des droits de défense ou du droit à un procès juste et équitable garantis par l’article 16.

Article 16 : Principe de séparation des pouvoirs

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

L’article 16 a une portée très large et garantit de manière générale les droits de la Déclaration. Il se compose de deux volets : d’abord la garantie des droits puis le principe de séparation des pouvoirs. La garantie des droits englobe le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense (CC, décision n°86-224 DC ; CC, décision n°89-260 DC ; CC, décision n°93-325 DC.) et le principe du contradictoire (CC, décision n°89-268 DC ), l’indépendance et l’impartialité des juridictions (CC, décision n°80-119 DC.) ainsi que la force exécutoire des décisions de justice sans que l’article 16 soit explicitement cité par le Conseil constitutionnel.

Cette disposition apparaît de manière hésitante pour la première fois dans la jurisprudence constitutionnelle (Régis Fraisse, « L’article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés », Les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°44, 2014, pp. 9-21 s. ; François Luchaire, « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2001, p.67 s. : « Il serait plus normal de rattacher les droits de la défense à l’article 16 de la Déclaration de 1789, c’est-à-dire à la garantie des droits donc à la sécurité juridique » à propos de la qualification des droits de la défense de principes fondamentaux reconnu par les lois de la République par le Conseil sans que ce dernier précise la loi dont découlent ces principes.), en tant que garantie des droits, en 1994 (CC, 21 janvier 1994, décision n°93-335 DC, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, cons. 4 : « […] que dès lors il n’est pas porté d’atteinte substantielle au droit des intéressés d’exercer des recours ; qu’ainsi le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration […] manque en fait ».) pour ensuite acquérir un statut plénier de norme constitutionnelle de référence en 1996 : « […] il résulte de cette disposition qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteinte substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction » (CC, 9 avril 1996, décision n°96-373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83 s. en déclarant la disposition attaquée contraire à la Constitution. Le Conseil cite pour la première fois dans son intégralité l’article 16.). L’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité résultant de la révision constitution du 23 juillet 2008 le 1er mars 2010 signe une véritable expansion dans l’emploi de l’article 16. Le droit à un procès équitable a pris la forme d’un droit à une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties (CC, 23 juillet 2010, décision n°2010-15/23 QPC, Région Languedoc-Roussillon et autres, cons. 4.). Les principes d’indépendance et d’impartialité déduits de l’article 16 s’appliquent désormais aux autorités administratives indépendantes, ce qui impose une séparation fonctionnelle entre les compétences de poursuite et de jugement de ces autorités (CC, 12 octobre 2012, décision n°2012-280 QPC, Société Groupe Canal Plus et autre, cons. 16 s. ).

Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel mobilise le principe de séparation des pouvoirs (CC, 9 août 2012, décision n°2012-654 DC, Loi de finances rectificatives pour 2012 (II), cons. 81-81.) sans pour autant systématiquement le rattacher à l’article 16 ou encore en donner une définition suffisante (CC, 8 juillet 1989, décision n°89-258 DC, Loi portant amnistie, cons. 8 se contente de mentionner le principe de séparation des pouvoirs sans davantage d’explications : « […] la dérogation ainsi apportée au principe de séparation des pouvoirs trouve son fondement dans les dispositions de l’article 34 de la Constitution […] ». Critique sur la jurisprudence du Conseil : Patrick Wachsmann, « La séparation des pouvoirs contre les libertés », AJDA, 2009, p. 617 s. et Olivier Beaud, « Le Conseil constitutionnel et le traitement du président de la République : une hérésie constitutionnelle », Jus Politicum, 2013. V. également Michel Troper, « La séparation des pouvoirs », in Philippe Raynaud, Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie juridique, PUF, 1996, p. 709 s. ). Dans certaines hypothèses, le principe revêt une forme particulière, celle de la « conception française de la séparation des pouvoirs » qui marque la distinction entre les autorités judiciaires et administratives. La base textuelle de cette séparation n’est cependant pas l’article 16, mais la loi des 16-24 août 1790 qui a été adoptée sous la période monarchique, ce qui interdit au Conseil constitutionnel de l’ériger au rang d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. En revanche, la spécificité de la juridiction administrative résultant de la loi du 18 mai 1872, une loi républicaine, est reconnu en tant que principe constitutionnel (CC, 23 janvier 1987, décision n°86-224 DC, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, cons. 15, sans faire référence à l’article 16.).

Article 17 Protection de la propriété privée

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

C’est en 1982 que le Conseil constitutionnel déclare que le droit de propriété a « pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de puissance publique » (CC, 16 janvier 1982, décision n°81-132 DC, Loi de nationalisation, cons. 16. ).  Cette disposition s’applique tant à la propriété privée que publique, même si une différence de traitement existe (CC, 24 juillet 2008, décision n°2008-567 DC, Loi relative aux contrats de partenariat, cons. 25. : « […] la protection du droit de propriété, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l’État et des autres personnes publiques, résultent respectivement, d’une part, des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et, d’autre part, de ses articles 2 et 17 ; que ces principes font obstacle à ce que des biens faisant partie du patrimoine de personnes publiques puissent être aliénés ou durablement grevés de droits au profit de personnes poursuivant des fins d’intérêt privé sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine ».). Cependant, le droit de propriété n’est pas absolu et peut être soumis à des autorisations préalables (CC, 26 juillet 1984, décision n°84-172 DC, Loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage, cons. 3 s. : « […] en principe, l’exploitation d’un bien, il peut, dans certains cas, entraîner indirectement des limitations à l’exercice du droit de propriété, notamment en empêchant un propriétaire d’exploiter lui-même un bien qu’il a acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu’un propriétaire puisse aliéner un bien qu’il a acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu’un propriétaire puisse aliéner un bien, faute pour l’acquéreur éventuel d’avoir obtenu l’autorisation d’exploiter ce bien ».).

La loi est le seul instrument qui permette d’aliéner une personne publique ou privée de sa propriété (En vertu de l’article 34 C, « la loi détermine les principes fondamentaux […] du régime de la propriété ».  ). La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure, très encadrée par le Code de l’expropriation, est l’exemple le plus courant d’une privation de propriété. Elle est soumise à des conditions strictes et comporte deux phases : administrative et judiciaire. L’État détient un monopole en la matière. Le bénéficiaire de l’expropriation peut être une personne publique ou une personne privée et l’exproprié peut également être une personne publique, à l’exception de l’État, ou une personne privée. Tandis que l’article 17 mentionne la « nécessité », l’article 1er du Code de l’expropriation permet d’exproprier si un motif d’«utilité publique » (CC, 25 juillet 1989, décision n°89-256 DC, Loi portant dispositions diverses en matière d’urbanisme et d’agglomérations nouvelles, cons. 19. ) est constaté. À la phase administrative dont la pièce maîtresse est la déclaration d’utilité publique succède la phrase judiciaire. Le juge judiciaire, en tant que gardien de la liberté individuelle en vertu de l’article 66 C, garantit que l’indemnité fixée au préalable est juste (CC, 17 septembre 2010, décision n°2010-26 QPC, SARL L’Office central d’accession au logement, cons. 6 : « […] pour être juste, l’indemnisation doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation ».) et, en cas de désaccord entre l’expropriant et l’exproprié, un accord à l’amiable peut être trouvé et validé par le juge.