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Nous ne résistons pas, lors de notre séance inaugurale, à l’envie de faire une leçon spéciale sur l’élection du Président des Etats-Unis (President of the United States, POTUS).

C’est un peu en avance sur le programme, puisque nous étudions en principe le système américain à la fin du premier semestre (semestre d’hiver). L’occasion de l’élection du 46ème président des Etats-Unis nous permet d’aborder le sujet un peu en avance.

Mais puisque nous ne respectons pas l’ordre du programme, quelques notions doivent être abordées de manière initiale (I).

Nous examinerons ensuite les différentes étapes menant à la désignation du Président des Etats-Unis, des primaires à l’entrée en fonction du Président (II).

Nous reproduisons à la fin de la présente fiche des extraits des Federalist Papers (III).

I. Quelques notions essentielles à la compréhension du scrutin

A./ L’organisation de l’élection du POTUS est imprégnée du principe fédéral

Lorsque l’on compare l’élection du président des Etats-Unis avec l’élection du président de la République française, une différente frappe : tandis que l’élection française est organisée sur le principe d’unité de l’Etat, le corps électoral étant l’ensemble des électeurs français, l’élection américaine est conditionnée par l’organisation fédérale des Etats-Unis d’Amérique, par les principes de répartition des pouvoirs (check and balance) d’autre part.

1) Le système fédéral : 50 Etats composant un Etat

De l’organisation fédérale des USA découle le fait que c’est au sein de chaque Etat qu’est organisée l’élection du POTUS. De grands électeurs seront désignés au sein de chacun des 50 Etats pour composer un collègue national qui se réunira en décembre 2024. C’est ce collège qui désignera le Président des Etats-Unis.

Cette organisation est le signe du principe fédéral : les Etats envoient des déléguée pour désigner le Président des Etats-Unis.

Sans remettre en cause l’autorité du POTUS, cela participe du compromis fédéraliste : les Etats-Unis ont en 1787 été « vendus » aux plus sceptiques comme ne devant pas remettre en cause l’existence même des Etats fédérés ni de leurs prérogatives au sein de la fédération, qui est un système plus intégré que la Confédération créée en 1776.

Nous reproduisons à la fin de la présente fiche des extraits du Fédéraliste consacré à l’élection du Président des Etats-Unis.

2) L’Election Day : on élit tout le monde, sauf le Président

Le 3 novembre 2020 n’est pas que le jour de l’élection du Président des Etats-Unis. Et même, ce jour-là une seule personne ne sera pas élue : c’est le Président des Etats-Unis. Ce paradoxe, nous l’avons évoqué: le 5 novembre 2024 sont désignés les grands électeurs chargés d’élire le Président. Ce n’est donc pas à strictement parler le 5 novembre que l’élection du Président est faite.

En revanche le premier mardi suivant le premier lundi de novembre, tous les deux ans, ont lieu des élections aux deux chambres du Congrès américain : la Chambre des représentants et le Sénat.

Le Sénat est composé de 100 sénateurs, 2 par Etat. Le mandat d’un sénateur dure 6 ans. Un tiers des sièges est renouvelé tous les 2 ans. En 2020, 35 sièges sont en jeu, 23 détenus par des républicains, 12 par des démocrates.

Par ailleurs, ce sont les 435 postes de la Chambre des représentants qui seront renouvelés le 3 novembre.

Ainsi, l’élection du Président s’accompagne d’un enjeu majeur: le contrôle du législatif.

Faute de majorité au Congrès en raison d’une domination républicaine au Sénat, Barack Obama a eu le plus grand mal (et a pour l’essentiel été empêché) à mettre en oeuvre des réformes. Depuis les élections de mi-mandat de 2022, Joe Biden ne contrôle plus, lui-non plus, le législatif, comme c’était le cas en 2018 de Donald Trump.

 

B./ Le rôle et les fonctions du Président des Etats-Unis

Le POTUS n’est rien seul. L’on peut, toutes proportions gardées, dire que le Président de la République française a infniment plus de pouvoirs que le Président des Etats-Unis.

1) Le pouvoir normatif

Participation au législatif

« Article 1 – Section 7.

[…]

2. Tout projet de loi adopté par la Chambre des représentants et par le Sénat devra, avant d’acquérir force de loi, être soumis au président des États-Unis. Si celui-ci l’approuve, il le signera ; sinon il le renverra, avec ses objections, à la chambre dont il émane, laquelle insérera les objections in extenso sur son procès-verbal et procédera à un nouvel examen du projet. Si, après ce nouvel examen, le projet de loi réunit en sa faveur les voix des deux tiers des membres de cette chambre, il sera transmis, avec les objections qui l’accompagnaient, à l’autre chambre, qui l’examinera également de nouveau, et, si les deux tiers des membres de celle-ci l’approuvent, il aura force de loi. En pareil cas, les votes des deux chambres seront acquis par oui et par non, et les noms des membres votant pour et contre le projet seront portés au procès-verbal de chaque chambre respectivement. Tout projet non renvoyé par le président dans les dix jours (dimanche non compris) qui suivront sa présentation, deviendra loi comme si le président l’avait signé, à moins que le Congrès n’ait, par son ajournement, rendu le renvoi impossible ; auquel cas le projet n’acquerra pas force de loi ».

Executive orders

L’on doit noter en outre la pratique des Signing Statements

Hamed Jendoubi, La présidence de George W. Bush et la pratique des déclarations de signature (signing statements) : véritable modification de l’équilibre des pouvoirs ou simple démonstration de force institutionnelle ?

2) Chef de l’exécutif

« Article 2 Section 1.

1. Le pouvoir exécutif sera confié à un président des États-Unis d’Amérique. Il restera en fonction pendant une période de quatre ans et sera, ainsi que le vice-président choisi pour la même durée, élu comme suit […] »

Agencies

3) Chef des armées

Article 2 – Section 2.

« 1. Le président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis, et de la milice des divers États quand celle-ci sera appelée au service actif des États-Unis. Il pourra exiger l’opinion, par écrit, du principal fonctionnaire de chacun des départements exécutifs sur tout sujet relatif aux devoirs de sa charge. Il aura le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour crimes contre les États-Unis, sauf dans les cas d’impeachment ».

Loi militaire de 1973

Intervention extérieure : 60 jours

4) Politique étrangère

Article II – Section 2

« 2. Il aura le pouvoir, sur l’avis et avec le consentement du Sénat, de conclure des traités, sous réserve de l’approbation des deux tiers des sénateurs présents. Il proposera au Sénat et, sur l’avis et avec le consentement de ce dernier, nommera les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges à la Cour suprême, et tous les autres fonctionnaires des États-Unis dont la nomination n’est pas prévue par la présente Constitution, et dont les postes seront créés par la loi. Mais le Congrès pourra, lorsqu’il le jugera opportun, confier au président seul, aux cours de justice ou aux chefs des départements, la nomination de certains fonctionnaires inférieurs ».

–> Ratification par le Congrès

 

C./ Des modes de scrutin et des différentes règles de majorité

Explication des termes : Majorité simple / Majorité absolue / Majorité qualifiée

Suffrage / Suffrage universel direct / Suffrage universel indirect

II. Les mécanismes à l’oeuvre dans la désignation du POTUS

Le graphique ci-dessous résume assez bien les différentes informations essentielles à connaître pour comprendre le processus de désignation du Président des Etats-Unis.

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En résumé et pour reprendre les notions que nous venons de voir, l’élection présidentielle américaine est une élection à suffrage universel indirect.

Les citoyens américains inscrits sur les listes électorales désignent des grands-électeurs qui se sont eux-mêmes déclarés pour un candidat .

Les 538 électeurs sont répartis par Etat selon une clé de recensement démographique. Le graphique suivant, créé pour l’élection de 2012, montre la répartition des Grands Electeurs par Etat.

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Dans chaque État, la majorité simple suffit pour emporter la totalité des grands électeurs : c’est la règle dite winner takes all. Seuls les Etats du Maine et du Nebraska font exception à cette règle.

Est élu le candidat qui réunit sur lui les suffrages de la majorité des grands électeurs, soit 270 sur 538.

 

III. Extraits du Fédéraliste

Nous reproduisons ci-dessous des extraits du Fédéraliste (Federalist papers) dans la version proposée par Wikisource. Nous avons corrigé manuellement la numérisation proposée, ce qui a participé à l’amélioration de Wikisource. Nous profitons de cet échange fructueux pour reproduire ci-dessous le résultat de ce travail collaboratif. Les numéros de page de l’édition originale sont [entre crochets].

Du New-York Packet, vendredi 14 mars 1788.
LE FÉDÉRALISTE, No LXVIII
(Hamilton)

Au Peuple de V Etat de New-York :

Le mode de nomination du premier magistrat des Etats-Unis a été à peu près la seule partie un peu importante du système constitutionnel qui ait échappé à une censure sévère, ou qui ait obtenu quelques légères marques d’approbation de la part de ses opposants. La plus courtoise de ces attaques, qui ait été publiée par la voie de la presse, a même daigné admettre que l’élection du Président
était assez bien gardée ((1 : Voyez  »Fédéral Farmer ». — Publius.)). Quant à moi, je vais plus loin et je n’hésite pas à affirmer que le mode d’élection est, sinon parfait, du moins excellent. Il unit, au plus haut degré, tous les avantages qu’on pouvait désirer.
Il fallait que l’opinion du peuple pût influer sur le choix de l’homme à qui devait être confiée une mission aussi importante. Ce but sera atteint en re-
[566] mettant le soin de l’élection non à quelque Corps préexistant, mais à des personnes choisies par le peuple pour cet objet spécial et pour cette circonstance particulière.
Il fallait aussi que l’élection immédiate fût faite par les personnes les plus capables d’apprécier les qualités requises pour ce poste, et agissant dans des circonstances favorables à la délibération et à une judicieuse combinaison de toutes les raisons et de tous les arguments de nature à dicter leur choix.
Un petit nombre de personnes, choisies par leurs concitoyens dans la grande masse du peuple, sera le mieux en état d’avoir les connaissances et les renseignements nécessaires pour se livrer à ces recherches compliquées.
Il était aussi particulièrement désirable de laisser le moins d’occasion possible au tumulte et au désordre. Ce danger n’était pas le moins à craindre dans l’élection d’un magistrat qui, comme le Président des Etats-Unis, doit avoir une action si grande dans l’administration du Gouvernement. Mais les précautions qui ont été si heureusement combinées dans le système que nous examinons nous promettent une garantie efficace contre cet inconvénient. Le choix de plusieurs individus pour former un corps intermédiaire d’électeurs, sera bien moins de nature à bouleverser la communauté par des mouvements extraordinaires ou violents, que le choix d’un seul qui serait lui-même l’objet final de la volonté du pays. Et comme les électeurs choisis dans chaque Etat s’assembleront et voteront dans l’Etat où ils sont choisis, cette situation distincte et séparée les exposera beaucoup moins aux colères et aux ferments qu’ils communiqueraient ensuite au peuple, que s’ils étaient réunis dans un même temps et dans un même lieu.

[567] Ce qu’il fallait surtout désirer, c’est que l’on opposât des obstacles efficaces à la cabale, à l’intrigue et à la corruption. Il fallait naturellement s’attendre à ce que les ennemis mortels du gouvernement républicain se manifestassent sous divers aspects, principalement sous le désir des puissances étrangères d’obtenir dans nos conseils une influence déplacée. Or, comment pourraient-elles mieux réussir dans ce dernier dessein qu’en élevant à la première magistrature de l’Union une créature de leur choix ?
Mais la Convention a pris les précautions les plus minutieuses et les plus judicieuses contre tout danger de ce genre. Elle n’a pas fait dépendre la nomination du Président de quelques groupes préexistants d’individus, dont on pourrait à l’avance tenter d’acheter les votes ; elle l’a remise en premier lieu à un acte immédiat du peuple d’Amérique, qui choisira les personnes qui seront investies de cette mission temporaire et unique de faire la nomination. Et la Convention a déclaré inéligibles à cette mission d’électeur tous ceux dont la situation pourrait les faire suspecter d’être trop à la dévotion du Président en fonctions. Aucun sénateur, aucun représentant, aucune personne tenant un poste de confiance ou de profit sous l’autorité des Etats-Unis ne pourra figurer parmi les électeurs. Ainsi, sans corrompre le corps du peuple, les agents immédiats de l’élection se mettront au moins à l’œuvre à l’abri de toute manœuvre louche. Leur existence passagère et leur situation isolée, déjà rappelées, permettent de prévoir qu’ils resteront à l’abri de ces manœuvres jusqu’à la fin de leur mission. L’œuvre de corruption, lorsqu’elle doit embrasser un nombre aussi considérable d’individus,
demande du temps et de l’argent. Or, il ne sera pas facile de les embarquer à la fois, — dispersés comme ils le seront dans treize Etats, — dans des complots [568] formés pour des motifs qui ne seraient peut-être pas à proprement parler de la corruption, mais qui toutefois seraient de nature à les écarter de leur devoir.
Un autre desideratum non moins important était que l’Exécutif ne dépendît, pour la continuation de ses fonctions, que du peuple lui-même. Sinon il pourrait être tenté de sacrifier son devoir à la complaisance qu’il manifesterait pour ceux dont la faveur serait nécessaire à la prolongation de son pouvoir. Cet avantage sera aussi assuré par la disposition qui fait dépendre la réélection du Président d’un Corps spécial de représentants envoyés par la communauté pour l’unique fonction de faire ce choix important.
Tous les avantages sont heureusement combinés dans le plan élaboré par la Convention. La Constitution prescrit, en effet, que le peuple de chaque Etat
choisira comme électeurs un nombre de personnes, égal au nombre des sénateurs et des représentants de cet Etat dans le gouvernement national ; ces électeurs s’assembleront dans l’Etat et voteront pour la personne qu’ils jugeront digne d’être Président. Leurs votes, ainsi donnés, seront transmis
au siège du gouvernement national, et la personne qui aura obtenu la majorité du nombre total des votes sera Président. Mais il pourrait arriver que la majorité des suffrages ne se portât pas sur un seul individu ; et comme il ne serait pas prudent de permettre à une minorité de faire prévaloir sa volonté, la Constitution décide que, dans cette circonstance, la Chambre des Représentants choisira, parmi les cinq candidats qui auront obtenu le plus de voix, celui qu’elle jugera le plus digne d’occuper la place.
Ce mode d’élection fait naître une certitude morale que jamais la fonction de Président ne tom [569] bera aux mains d’un homme qui ne serait pas pourvu, à un degré éminent, des qualités requises. L’art qui suffit aux basses intrigues, et les petites manoeuvres qui donnent quelque popularité, peuvent suffire pour élever un homme aux premiers honneurs dans un Etat particulier. Mais il faut d’autres talents et une autre espèce de mérite pour lui concilier l’estime et la confiance de l’Union tout entière ou d’une partie assez considérable de l’Union pour en faire un candidat heureux aux fonctions délicates de Président des Etats-Unis. Il n’est donc pas trop fort de dire qu’il y aura toujours des chances de voir cette fonction remplie par des caractères éminents par leur capacité et leur vertu. Et, sous ce rapport au moins, la Constitution méritera les éloges de ceux qui connaissent l’influence nécessaire que doit nécessairement avoir, dans tout gouvernement, le pouvoir exécutif sur sa bonne ou sur sa mauvaise administration. Sans doute, nous ne pouvons adopter l’hérésie politique du poète qui dit :
« Laissez les insensés disputer sur les formes de gouvernement,
Le mieux administré est le meilleur ».
Toutefois, nous pouvons affirmer en toute confiance, que la véritable preuve de la bonté d’un gouvernement, c’est son aptitude et sa tendance à produire une bonne administration – le Vice-Président doit être choisi de la même manière que le Président ; avec cette différence que le Sénat fera, pour le Vice-Président, ce que fait la Chambre des Représentants pour le Président.
On a critiqué comme superflue, sinon comme malfaisante, la nomination d’un personnage extraordinaire, comme Vice-Président ; on a allégué qu’il aurait été préférable de faire choisir par le Sénat un [570] de ses membres pour remplir cette fonction. Mais deux considérations semblent justifier les mesures adoptées à cet égard par la Convention. L’une est que, pour assurer, en tous temps, au Sénat la possibilité de prendre une résolution définitive, il a fallu ne donner au Président voix délibérative qu’en cas de partage ; or, enlever le sénateur d’un Etat de son siège de sénateur pour en faire le Président du Sénat, c’eût été échanger, au point de vue de l’Etat qui l’a nommé, un suffrage constant contre un suffrage éventuel. La seconde considération, c’est que, comme le Vice-Président pourra, dans certains cas, prendre la place du Président dans la magistrature executive suprême, toutes les raisons qui militent en faveur du mode d’élection établi pour l’une s’appliquent avec une force considérable, sinon avec une égale force, à la manière de nommer l’autre. Il est à remarquer d’ailleurs qu’ici, comme dans beaucoup d’autres exemples, l’objection qui est faite s’applique à la Constitution de l’Etat de New York. Nous avons un lieutenant-gouverneur, choisi par le peuple, qui préside le Sénat et qui est le suppléant constitutionnel du gouverneur dans les mêmes cas où la Constitution autorise le Vice-Président à exercer les pouvoirs et à remplir les fonctions du Président.

PUBLIUS.