La présente leçon constitue l’introduction de la Section I dans la seconde partie, titre I, chapitre I :

SECONDE PARTIE : LES LIMITES DE L’ACTION ADMINISTRATIVE

TITRE I. Le contenu du contrôle de l’action administrative

CHAPITRE I. La légalité administrative

Section 1 Les sources de la légalité administrative

 

Le droit administratif s’est construit comme un droit d’exception, par opposition au droit privé régissant les relations entre particuliers (arrêt Blanco).

Comme le pose le célèbre jugement du Tribunal des conflits, « que la responsabilité, qui peut incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier.

Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ;

Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître ; » (TC 8 février 1873, Blanco, n° 00012).

L’arrêt Blanco, dont la solution d’espèce est pour de nombreuses raisons largement dépassée, reste important en ce qu’il a établi un principe, même implicitement, qui régit le périmètre et le contenu du droit administratif français : celui de la liaison de la compétence et du fond.

Le Tribunal des conflits pose en premier lieu que la responsabilité administrative ne peut être soumise au droit commun : elle a ses règles propres.

Dès lors, ajoute le Tribunal, la compétence juridictionnelle est celle de l’ordre administratif.

Le fonds du droit implique la compétence du juge administratif.

C’est en application de cette règle par exemple que le juge administratif refuse d’appliquer les principes habituel du droit international privé, qui peuvent aboutir à ce qu’un juge applique un droit étranger (1).

1) CE Section, 19 novembre 1999, Tegos, 183648  

L’inverse est vrai et le juge administratif appliquera d’une manière qui peut être considérée comme systématique, les règles spécifiques du droit administratif aux affaires qu’il a à connaître.

Le juge administratif ayant à connaître de cas similaires à ceux que règle le juge judiciaire ira, tant qu’il le peut, chercher des sources propres au droit administratif pour ne pas appliquer le droit commun, même si ces sources sont substantiellement identiques à celles du droit privé.

Ayant à connaître d’un cas de licenciement d’une femme enceinte, le Conseil d’Etat n’appliquera pas le code du travail mais un « principe général du droit » dont est issue la disposition du code (1).

1) CE, Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, n° 80232

Le droit administratif ne peut cependant être envisagé en dehors de la globalité du système juridique national.

A cet égard, le droit administratif qui peut être défini comme le droit appliqué par le juge administratif, ne peut se détacher de règles plus générales, qui ne lui sont pas propres.

Trois situations peuvent se rencontrer : l’application indistincte des règles du droit privé, l’application explicite des règles de droit privé dans une situation où doit être interprétée ou appréciée la légalité d’une situation juridique et l’application explicite des sources du droit privé par le juge administratif.

En premier lieu le juge administratif appliquera de manière indistincte les règles du droit privé. La présidente ou le président d’une association sera en principe habilité à la représenter en justice, devant le juge judiciaire comme devant le juge administratif. De même, si le domaine public implique en premier lieu la propriété publique, cette dernière suit les règles du droit privé (en dehors du cas spécifique du domaine public naturel qui s’établit par voie législative et pour lequel le lien de propriété est une fiction ni utile, ni justifiable. V. par exemple le domaine public hertzien ou le domaine public maritime).

En second lieu, lorsque des questions relevant du droit privé se posent au juge administratif, il devra surseoir à statuer et, sauf exception, renvoyer au juge judiciaire la question de l’interprétation, de l’appréciation de la légalité ou de la reconnaissance d’un droit.

En troisième lieu, le juge administratif ne peut pas toujours se déporter et renvoyer au juge judiciaire l’ensemble des questions qui ne relèvent pas intrinsèquement du droit administratif. Les notions juridiques sont dans un système juridique déterminé interdépendantes même si leur appréciation peut diverger d’une juridiction suprême à une autre. Par exemple les catégories de personnes juridiques sont identiques en droit public et en droit privé : les personnes physiques s’opposent aux personnes morales. Les personnes morales peuvent être de droit public ou de droit privé. Pour prendre un autre exemple, la détermination du domaine public repose, non seulement sur la propriété publique, mais sur la distinction entre biens meubles et immeubles. La même distinction qui irrigue le droit des biens irrigue nécessairement le droit administratif. Sauf à devenir totalement inutile, le droit administratif doit s’accommoder d’utiliser pour l’essentiel des notions issues du droit privé.

La cohabitation entre le droit administratif et le droit privé peut être moins intime que dans le rapport aux notions, et concerner plus prosaïquement les sources de la légalité. Le juge administratif, garant d’une certaine orthodoxie du principe de liaison de la compétence et du fond, assure autant qu’il le peut la « pureté » des sources du droit administratif. Nous l’avons vu supra avec l’utilisation des PGD et l’artifice consistant à considérer que la loi antérieure s’est inspirée des principes non écrit découverts par le juge administratif. Mais il ne peut as toujours assurer l’autonomie des sources. Le code civil, le code des assurances et plus récemment une partie du corpus du droit de la concurrence et du droit de la consommation sont appliqués en tant que tels par le juge administratif.

Ainsi, de nombreuses dispositions applicables essentiellement à des rapports de droit privé sont applicables devant le juge administratif.

Il en va ainsi en matière d’intérêt légaux ; l’article  L. 313-3 du code monétaire et financier prévoyant l’application du taux d’intérêt légal et du taux d’intérêt légal majoré est applicable aux décisions du juge administratif (1)

1) CE 8 juin 2011, Sociétré SEG Fayat, n° 344394, T.

Parfois, l’application du droit privé pose des questions de principe plus profondes. Il en est allé ainsi de la question de l’application du droit de la concurrence, qui ne faisait pas historiquement partie du corpus du droit administratif. Après de nombreuses péripéties, le Conseil d’Etat a accepté d’intégrer le droit de la concurrence dans les sources du droit administratif et par voie de conséquence de soumettre les personnes publiques à ce droit (2). Le Conseil d’Etat a également soumis les personnes publiques au droit de la consommation (3).

2) Conseil d’État, 3 novembre 1997, Société Million et Marais

3) CE 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458, à propos de l’application du droit des clauses abusives

Les rapports entre le droit administratif et le droit constitutionnel posent un autre type de questions. Il existe là un rapport plus intime puisque le juge administratif applique historiquement le droit constitutionnel.  Mais les limites à cette application historique sont nombreuses et tiennent à deux paramètres que nous développerons dans une leçon spécifiquement consacrée à la question. En premier lieu le droit constitutionnel substantiel est historiquement peu développé. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’avait pas de force normative entre 1792 et 1946 et ses principes sont finalement peu nombreux. En second lieu, le juge administratif n’est pas le juge de la constitutionnalité de la loi ce qui lui retire une partie de ses fonctions de juge constitutionnel, fonctions confiées par la constitution de 1958 au Conseil constitutionnel. Bien entendu la QPC et la participation du juge administratif au filtrage des questions posées lui confère un rôle renouvelé.

Nous verrons que le juge administratif a également un rôle à jouer dans l’application du droit international. La Constitution prévoit les modalités d’introduction du droit international écrit dans l’ordre interne (applicabilité) mais le juge reste assez libre de déterminer son effet concret sur les litiges individuels (invocabililité).

Le droit de l’Union européenne a un statut constitutionnel particulier ce qui lui confère une place particulière dans la hiérarchie des normes et comme source du droit administratif.

Nous examinerons dans la présente section les sources de la légalité administratif en partant du sommet pour arriver à la base :

§ 1 : Les sources constitutionnelles du droit administratif

(DA II Leçon n°2) A. Les composantes du bloc de constitutionnalité

(DA II Leçon n°3) B. Constitution et actes administratifs

§ 2 : Le droit international, source de la légalité administrative

(DA II Leçon n°4) A. Applicabilité des normes internationales

(DA II Leçon n°5) B. Invocabilité des normes internationales

(DA II Leçon n°6) §3. Le droit de l’Union européenne, source de la légalité administrative