Le « bloc de constitutionnalité » est une idée examinée en droit constitutionnel mais qui intéresse également le droit administratif.

La constitution de ce bloc s’est faite par renvoi du préambule de la Constitution de 1958 aux textes qu’elle cite : Préambule de la constitution de 1946, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Chartes de l’environnement. Le Préambule de 1946 renvoie lui-même à la DDHC et aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

La valeur constitutionnelle du Préambule de 1958 a été reconnue par le Conseil d’Etat dès 1960 par son arrêt de principe CE Sect., 12 février 1960, Société Eky ce qui a eu pour effet de conférer valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle il revoie, assurant ainsi une continuité avec la Constitution de la IVème République dont le préambule lui-même avait conféré valeur constitutionnelle à la Déclaration (v. ci-dessous décision CE Ass. 7 juillet 1950, Dehaene*, p. 426  www.revuegeneraledudroit.eu/?p=6673).

 C’est donc l’ensemble du bloc de constitutionnalité qu’il faut ici envisager.

 1) La constitution du 4 octobre 1958

 a) Répartition des compétences entre les organes exécutifs

 La Constitution de 1958 contient de nombreuses dispositions intéressant l’organisation du pouvoir exécutif et réglant par voie de conséquences la répartition des compétences entre diverses autorités administratives.

Il s’agit évidemment de la répartition des compétences entre le Président de la République et le Premier ministre.

Les articles en cause sont les articles 13, et 19 à 22 de la Constitution.

 b) Détermination de la compétence du pouvoir réglementaire

 –> Articles 3, 34 et 37 C; Article 7 de la Charte de l’environnement

Les articles 34 et 37 répartissent, on le sait, les compétences entre les organes législatifs et exécutifs en déterminant les domaines de la loi et du règlement.

D’autres dispositions intéressent la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif.

Il en va ainsi de l’article 3 de la Consitution contenant des dispositions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes. Cet article ne contient pas seulement des normes substantielles relatives à l’égalité, mais des dispositions conférant au seul législatif compétence pour intervenir en la matière, par dérogation au principe classique d’égalité qui exclut que soit pris en compte le genre (1).

De même l’article 7 de la Charte de l’environnement disposant que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » attribue compétence au législateur pour adopter les dispositions initiales d’encadrement du droit de participation du public en matière environnementale (2).

1.  CE, SSR., 10 octobre 2013, Fédération française de Gymnastique, requête numéro 359219; Cossalter (Philippe), « Egalité des sexes, inégalité des textes », note sous CE SSR., 10 octobre 2013, Fédération française de Gymnastique, n° 359219, Revue générale du droit on line, 2013, numéro 11878 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=11878)

2. CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, requête numéro 297931,  (http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/decisions/conseil-detat-assemblee-3-octobre-2008-commune-dannecy-requete-numero-297931-publie-au-recueil/).

 c) Garantie de la libre administration des collectivités territoriales

Aux termes des alinéa 3 à 5 de l’article 72  C :

« Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences.

Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune. « .

L’article 72 lui-même détermine donc la compétence du législateur pour organiser les conditions de l’exercice de la libre administration des collectivités territoriales et par opposition l’incompétence du pouvoir réglementaire.

D’autres dispositions déterminent encore l’organisation et les compétences des collectivités territoriales à statut particulier.

Aux termes de l’article 72-3 C :

« La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer, et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII ».

Aux termes de l’article 74 C, les collectivités d’outre-mer auxquelles renvoie l’article 72-3 ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République et qui est adoptés par loi organique. En ce qui concerne la Polynésie française, la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française crée par exemple les lois de pays dont le contrôle appartient au Conseil d’Etat (v. par exemple Didier Girard, « Vouloir museler la presse d’opposition par la fiscalité constitue un détournement de pouvoir juridictionnellement sanctionnable », note sous CE, 12 mai 2014, Fédération générale du commerce et autres, n° 370600, 370601, 370724, 371261 ‘ : Revue générale du droit on line, 2014, numéro 17897 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=17897)).

 2) Le Préambule de la constitution du 27 octobre 1946

 Le Préambule de la Constitution de 1946 a reçu pleine valeur constitutionnelle dès la décision de principe Dehane, qui est importante en ce qu’elle consacre la valeur du droit de grêve en droit français.

CE Ass. 7 juillet 1950, Dehaene*, p. 426 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=6673)

Sous l’empire de la Constitution de 1958, le Conseil a à nouveau reconnu la valeur constitutionnelle du présembule de 1946 en raision du renvoi qui y était effectué.

 L’ensemble des dispositions du préambule de 1946 ont valeur constitutionnelle mais toutes ces dispositions ne sont pas directeur invocavles.

3) La déclaration des droits de l’homme et du citoyen

 La déclaration avait une valeur constitutionnelle en 1791, puisqu’elle avait été intégrée en préambule de la première constitution moderne.

La Déclaration est ensuite sortie de vigueur avec la déclaration de la République en 1792.

Aucun texte constitutionnel postérieur ne conférait à la Déclaration de valeur en droit positif.

Bernard Stirn rappelle cependant que dans ses conclusions sur une affaire Baldy du 17 aôut 1917, le commissaire du gouvernement Corneille considérait que « la déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement, au frontiscipe des constitutions républicaines ».

Depuis la Constitution de 1946, la Déclaration a retrouvé une valeur constitutionnelle par renvoi de son préambule qui dispose : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

La décalaration a une portée considérable.

Elle fonde, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel mais également du Conseil d’État, le principe d’égalité, la propriété, la liberté d’opinion.

CE 16 décembre 1988, Bléton, p. 451

 « Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi du 13 septembre 1984 : « Par dérogation aux dispositions de l’article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, les statuts particuliers des corps d’inspection ou de contrôle doivent prévoir la possibilité de pourvoir aux vacances d’emploi dans le grade d’inspecteur général ou de contrôleur général, par décret en conseil des ministres, sans condition autre que l’âge. La proportion des emplois ainsi pourvus doit être égale au tiers des emplois vacants » ; que si ces dispositions laissent une très large liberté de choix au gouvernement, elles ne le dispensent pas de respecter, pour les nominations concernées, la règle posée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, selon lesquelles « tous les citoyens … sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois public, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » ; que l’appréciation des capacités des candidats, à laquelle se livre l’autorité investie du pouvoir de nomination, doit s’effectuer en tenant compte des attributions confiées aux membres du corps dont il s’agit et des conditions dans lesquelles ils exercent leurs fonctions ; »

 4) La Charte de l’environnement

La Charte de l’environnement a pleine valeur constitutionnelle, dans l’ensemble de ses dispositions. Cependant, tous les articles de la Charte de sont pas directement invocables, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas tous justifier l’annulation d’un acte administratif individuel (1). Le Conseil d’Etat a par ailleurs eu l’occasion de préciser, concernant le principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte, qu’il ne modifiait pas les compétences des autorités de police, même s’il s’imposait désormais à toutes les autorités administratives. Il en résulte que le principe de précaution ne peut justifier qu’une autorité de police administrative générale exerce ses compétences en concurrence avec l’autorité de police spéciale, aussi bien en matière d’antennes relais (2) que de culture OGM (3).

(1) CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, requête numéro 297931,  (http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/decisions/conseil-detat-assemblee-3-octobre-2008-commune-dannecy-requete-numero-297931-publie-au-recueil/)

(2) CE Ass., 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n°326492

« Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 : Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ; qu’il résulte de ces dispositions que le principe de précaution, s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions ; que, par conséquent, la circonstance que les valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques fixées au niveau national ne prendraient pas suffisamment en compte les exigences posées par le principe de précaution n’habilite pas davantage les maires à adopter une réglementation locale portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes ; »

(3) CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence, requête numéro 342990; Philippe Cossalter, « Pouvoirs de police du maire et cultures OGM », Note sous CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence, requête numéro 342990 ‘ : Revue générale du droit on line, 2012, numéro 3298 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=3298)

V. aussi CE SSR, 26 février 2014, Association Ban Asbestos France, requête numéro 351514, mentionné aux tables

 5) Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République

 CE 11 juillet 1956, Amicale des annamites de Paris

Conseil constitutionnel, 16 juillet 1971, Liberté d’association

Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence*

CE, 3 juillet 1996, Koné*

Le PFRLR selon lequel « l’Etat doit refuser l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée dans un but politique » a été appliqué de façon spectaculaire dans l’affaire Abliazov. La décision de Section du 9 décembre 2016 a permis au Conseil, outre ce PFRLR, d’utiliser les dispositions de l’article 3 § 2 de la convention européenne d’extradition, aux termes de laquelle l’extradition n’est pas accordée ”si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons ”. La décisions Abliazov illustre donc l’utilité de lire une convention d’extradition « à la lumière » d’un principe constitutionnel. Elle illustre également la multiplication des sources internationales posant des règles en doublon par rapport aux règles constitutionnelles substantielles françaises. Elle montre enfin le travail de conciliation des traités internationaux entre eux, auquel le CE s’astreint en cas de conflit de lois.

CE Sect., 9 décembre 2016, Abliazov, n° 394399 et 400239; Didier Girard, ‘ L’extradition pour un motif politique demeure prohibée même pour un oligarque en exil !, Note sous CE Sect., 9 décembre 2016, Abliazov, n° 394399 et 400239 ‘ : Revue générale du droit on line, 2017, numéro 25484 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=25484).