L’exécutif français est dit « bicéphale » : il a deux têtes que sont le Président de la République et le Premier ministre. Les rapports entre les deux têtes de l’exécutif français sont évidemment différents, selon que le Parlement est de la même majorité politique que le Président de la République ou qu’ils sont de majorités différentes. Dans le premier cas il y a concordance des majorités et le Président de la République domine le Premier ministre. Dans le second cas il y a cohabitation et le Président de la République se concentre sur son « domaine réservé ».
§1./ Les rapports en période de concordance des majorités
Les rapports entre le Président de la République et son Premier ministre en période de concordance des majorités sont marqués par la domination du premier sur le second. Le processus électoral aboutissant à l’élection du Président de la république puis à celle des députés fait du Président le véritable chef de la majorité.
La domination politique provient de l’élection, mais également de la nomination et de la fin des fonctions : il est convenu que le Président de la République puisse mettre fin aux fonctions du Premier ministre pour en nommer un autre, sans avoir à motiver son choix. Par deux fois des Présidents de la République ont « limogé » des Premiers ministres plus populaires qu’eux pour de simples motifs politiques : François Mitterrand demande à Michel Rocard de démissionner le 15 mai 1991 pour laisser place à la très impopulaire Edith Cresson. Edouard Philippe a démissionné le 3 juillet 2020 à la demande d’Emmanuel Macron, pour laisser place au très impopulaire Jean Castex. Ce n’est que très rarement qu’un gouvernement est renversé par le Parlement : il n’est en général par le Président de la République lui-même.
Cette domination politique se double désormais d’une véritable domination administrative qui s’exprime de deux manières. En premier lieu, le Président de la République suggère ou impose les ministres ; il exerce aussi une influence déterminante sur la nomination des hauts responsables administratifs. En second lieu les services du Président de la République sont devenus très puissants. Si le personnel politique [1] des cabinets ministériels est limité [2] la Présidence de la République comporte désormais plus de cent collaborateurs qui traitent de tous les sujets et assurent la domination du Président de la République sur tous les sujets [3].
Certains auteurs, pour désigner cette « hyper-présidentialisation » du régime, qui n’est plus tout-à-fait parlementaire mais dans lequel le gouvernement reste responsable devant le Parlement, évoquent l’idée d’un « régime semi-présidentiel » [4].
§2./ Les rapports en période de cohabitation
Le terme cohabitation a été inventé pour désigner la situation devenue rare dans laquelle l’assemblée nationale et le Président de la République appartiennent à des majorités politiques différentes. Eu égard au fait que les coalitions sont bien moins vastes et fréquentes en France qu’en Allemagne, la divergence politique qui résulte de cette opposition peut être très tranchée.
Dans l’hypothèse d’une cohabitation, le Président de la République n’est plus libre de désigner le Premier ministre, il doit désigner le candidat proposé par la majorité à l’Assemblée nationale. Dans cette hypothèse le Président de la République se concentre sur son domaine réservé, la défense nationale et les affaires étrangères [5].
[1] Nous entendons par « personnel politiques » tous les collaborateurs qui ne font pas partie de services administratifs permanents, tels que les porte-paroles, les conseillers en communication, les rédacteurs de discours, les conseillers politiques et autres personnels de communication, le directeur de cabinet qui est le plus proche collaborateur du ministre et le chef de cabinet qui organise ses services.
[2] Le décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels fixe à 10 le nombre de membres du cabinet d’un ministre, 8 pour un ministre délégué et 5 pour un secrétaire d’Etat.
[3] Anne-Lise Madinier, « L’évolution présidentialiste des services de la présidence de la République. Du service de la Maison d’un chef d’État parlementaire au pilotage du gouvernement », Revue générale du droit, 2020, numéro 51298 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=51298).
[4] V. Maria Rosaria Donnarumma, « Le régime semi-présidentiel. Une anomalie française », RFDC 2013, n° 93 pp. 37-66.
[5] Comme nous l’avons vu par ailleurs, la Vème République a connu trois périodes de cohabitation.
– Première cohabitation 1986-1988 : le premier ministre Jacques Chirac a été opposé au Président de la République François Mitterrand (1981-1995).
– Deuxième cohabitation 1993-1995 : Edouard Balladur est opposé au Président de la république François Mitterrand.
– Troisième cohabitation 1997-2002 : Lionel Jospin est opposé au Président de la République Jacques Chirac (1995-2007).