L’effondrement de l’Empire marque l’avènement de la République. La IIIème République, si importante dans l’histoire constitutionnelle française, naîtra de manière chaotique et incertaine (I). Après la parenthèse de la Seconde guerre mondiale, la IVème République n’est que la répétition institutionnelle de la IIIème République à laquelle s’ajoute un corpus constitutionnel plus structuré (II).

I. La IIIème République

La IIIème République marque l’avènement définitif de la République. Beaucoup a été écrit sur les incertitudes ayant entouré l’avènement de la République. L’Assemblée nationale constituante issue des premières élections générales suivant l’effondrement de l’Empire est à majorité royaliste. Mais les dissensions entre les Légitimistes (fidèles à la branche ainée des Bourbons, éteinte avec le départ de Charles X) et les Orléanistes (tenants de la branche cadette des Orléans, arrivée au pouvoir avec Louis-Philippe de 1830 à 1848) ont bloqué le processus de transition. Ce ne pouvait être la monarchie : ce fut la République faute de mieux.

Les institutions de la nouvelle République vont se mettre en place progressivement, par l’adoption de diverses lois qui ne sont pas formellement constitutionnelles mais qui portent sur l’organisation des institutions.

Parmi ces lois, la première est la loi « Rivet » du 31 août 1871.

Cette loi dispose qu’Adolphe Thiers, cher du pouvoir exécutif désigné par un décret du 17 février 1871 prend le titre de Président de la République (art. 1). Le Président de la République nomme et révoque les ministres mais le conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l’Assemblée nationale (art. 2), de même que le Président de la République (art. 3).

La loi du 13 mars 1873, dite Loi de Broglie précise les relations entre le Président de la République et l’Assemblée nationale. Le Président n’est plus responsable devant l’Assemblée mais la responsabilité ministérielle est précisée (art. 4).

Une loi du 20 novembre 1873 prévoit que le pouvoir exécutif soit exercé par un président de la République désigné pour sept ans.  Cette « loi du septennat » est adoptée dans l’attente d’un successeur acceptable au Trône.

Enfin, l’Amendement « Wallon » du 30 janvier 1875 établit le principe de l’élection du Président de la République par la Chambre des députés et le Sénat réunis en Assemblée nationale. Le Président de la République qui était jusqu’alors désigné par la loi est désormais élu par les chambres d’un parlement bicaméral.

Le système institutionnel est prêt pour accueillir les trois lois constitutionnelles qui, ensemble, constitueront la constitution de la IIIème République :

– la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs,

– la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat,

– la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.

Le système institutionnel dessiné par ces trois lois constitutionnelles est celui d’un régime parlementaire dans lequel la Chambre des députés et le Sénat ont des prérogatives équivalentes. Les députés de la Chambre sont élus au suffrage universel direct (loi du 25 février 1875, article 1) ; les sénateurs sont élus par un collège électoral composé d’élus de chaque département : députés, conseillers généraux, etc. Le Président de la République est élu par les membres du Parlement.

Les deux chambres et le Président de la République ont concurremment l’initiative des lois. Les Chambres peuvent, l’une ou l’autre, engager la responsabilité du gouvernement et de chacun de ses membres (loi du 25 février 1875, article 6) mais ne peuvent engager la responsabilité politique du Président de la République. Ce dernier, avec l’avis conforme du Sénat, peut dissoudre la Chambre des députés (loi du 25 février 1875, article 5).

Ce régime parlementaire ne prévoit pas l’institution du Premier ministre : la pratique créera l’institution du « Président du Conseil », le premier entre les ministres qui coordonnera le travail gouvernemental.

Une grande réforme institutionnelle issue de la pratique, ou de ce que certains auteurs considèrent comme une véritable coutume constitutionnelle, va changer profondément l’équilibre des pouvoirs entre le Président de la République. Après l’élection d’une forte majorité républicaine à la Chambre des députés, le Président de la République Patrice de Mac Mahon démissionne. Ce dernier avait manié le droit de dissolution avec autorité. Le nouveau Président de la République élu, Jules Grévy, prononce un célèbre discours devant l’Assemblée nationale. Il annonce qu’il se soumettra avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire : il ne prononcera plus la dissolution de la Chambre des députés. Ce discours est appelé depuis la « Constitution Grévy ».

L’équilibre institutionnel entre l’exécutif et le législatif est rompu. S’ouvre alors pour près de soixante-dix ans ce que l’on appelle le « légicentrisme ». La loi est au centre des institutions d’abord sur le plan organique : le Parlement est tout-puissant. Il fait et défait les gouvernements qui sont frappés d’une très grande instabilité (la moyenne de leur existence est de six mois). La loi est au centre des institutions sur le plan matériel : le Parlement peut tout. La Constitution n’a été dotée d’aucune norme substantielle [1] et il n’existe aucun organe de contrôle de la constitutionnalité de la loi, alors que le droit international est balbutiant et qu’il n’a pas encore d’institutions permanentes.

La IIIème République disparait avec la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, chef de l’Etat français, chargé d’élaborer une nouvelle constitution qui ne verra jamais le jour.

II./ La IVème République

La IVème République est, sur le plan institutionnel, la continuation de la IIIème République. Sur le plan des droits et libertés, elle apporte d’importantes innovations constitutionnelles.

A) La IVème République sur le plan institutionnel

Le débat institutionnel qui a suivi l’instauration du Gouvernement provisoire de la République française le 3 juin 1944 portait sur le choix à réaliser concernant les institutions de la nouvelle République : maintien des structures héritées de la IIIème République ou élaboration d’un régime politique nouveau, appelé de ses vœux par le Général de Gaulle [2] ?

C’est finalement la solution de la continuité qui sera retenue. La Constitution du 26 octobre 1946 maintient les structures du régime précédent, tout en essayant de garantir la stabilité gouvernementale. C’est une première tentative de « parlementarisme rationnalisé ».

Quelques mécanismes sont introduits pour assurer une plus grande stabilité au gouvernement. Le mécanisme de la motion de censure sera en particulier encadré. Mais tous les mécanismes constitutionnels seront contournés et l’instabilité ministérielle sera aussi forte sous la IVème République que sous la IIIème. Entre 1946 et 1958 se succèderont vingt-deux gouvernements.

B) La IVème République dans le domaine des droits et libertés

Si la IVème République n’apporte rien de très notable sur le plan institutionnel en revanche l’adoption du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 est d’une importance capitale.

[1] La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est pas encore revenue dans l’ordonnancement juridique. Elle redeviendra un texte de droit positif avec l’entrée en vigueur de la Constitution du 27 octobre 1946.

[2] Le Général de Gaulle prononcera le 16 juin 1946, alors qu’il a démissionné de la présidence du Gouvernement provisoire de la République, un célèbre discours à Bayeux en Normandie. Il y exposera les principes d’organisation qu’il appelle de ses vœux. Un Parlement bicaméral pour que le Sénat modèle les emportements de la Chambre des députés. Un Président de la République politiquement irresponsable, qui se place au-dessus des jeux partisans, en arbitre des institutions : « Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement ; à lui la mission de nommer les ministres, et d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement ; au chef de l’État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens ; à lui la tâche de présider les conseils du gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas ; à lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître, par des élections, sa décision souveraine ; à lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France ». C’est ce projet qui sera mise en œuvre en 1958 et aboutira à la Constitution de la Vème République.

C./ Le Préambule de la Constitution de 1946

Bibliographie sélective

Gaudemet (Yves) (dir.), Le préambule de la Constitution de 1946, Ecole doctorale Georges Vedel, 1er juin 2007, Éditions Panthéon-Assas, 2009.

 

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 est d’une importance centrale dans le droit constitutionnel français. Son importance tient à ce qu’il enrichit le patrimoine juridique d’une série de dispositions sociales d’importance majeure et qui irriguent encore aujourd’hui le droit public français. Les droits et libertés de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen étaient d’inspiration bourgeoise et conservatrice. La Constitution de 1946 est élaborée alors que les idées de gauche portées par le Parti communiste français et la SFIO (parti socialiste) sont dominantes.

Le Préambule consiste en dix-huit alinéas dont l’importance symbolique et la portée juridique sont variables.

Al. 3 : La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.

Dès 1946 les femmes bénéficient d’un accès progressif à certains emplois et fonctions : la loi du 11 avril 1946 ouvrait la magistrature aux femmes, la loi du 19 octobre 1946 portant statut général de la fonction publique dispose qu’ « [a]ucune distinction pour l’application du présent statut n’est faite entre les deux sexes sous réserve des dispositions spéciales qu’il prévoit ». Cependant, malgré sa proclamation dans le Préambule de 1946, il faut attendre 1981 pour que le Conseil constitutionnel s’y réfère pour la première fois, dans une réflexion concernant l’égalité devant l’impôt, sans toutefois mentionner expressément l’alinéa 3 (CC, 30 décembre 1081, décision n°81-133 DC, Loi de finances pour 1982, cons. 9 : « Considérant que l’article 3 [de la loi] n’établit aucune discrimination au détriment de l’homme ou de la femme et se borne à dire que l’assiette de l’impôt est constituée par la valeur nette des biens appartenant aux personnes visées à l’article 2 ainsi qu’à leur conjoint et à leurs enfants mineurs ; qu’il ne saurait, dès lors, être invoqué une violation du principe de l’égalité entre les sexes ».). Ensuite, c’est sous l’angle de l’égalité politique que le Conseil évoque l’égalité entre les femmes et les hommes, toujours en occultant l’ alinéa 3 et en s’appuyant sur l’article 3 de la Constitution de 1958 et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CC, 18 novembre 1982, décision n°82-146 DC, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, cons. 6 et 7.). Le résultat de cette lecture combinée des dispositions à valeur constitutionnelle est le refus de créer un système de quotas électoraux et de diviser les électeurs ou les personnes éligibles en raison de leur sexe. Nous avons examiné cette question par ailleurs (xxx références xxx).

La loi de révision constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 consacre le principe de parité restreint en le limitant au domaine des élections politiques (La loi modifie les articles 3 et 4 de la Constitution de 1958 : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (article 3) et « Ils [les partis politiques] contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l’article 3 dans les conditions déterminées par la loi ». ). Puis la loi de révision constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 introduit le principe d’égalité dans la sphère des responsabilités professionnelles et sociales (« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » (article 1er de la Constitution de 1958).).

En ce qui concerne les emplois publics, les femmes ont vocation à occuper tous les emplois dans les mêmes conditions que les hommes. La loi n°2001-997 du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes modifie le statut général des fonctionnaires et met en œuvre le principe général de non-discrimination en interdisant toute distinction basée sur le sexe (article 19). Toutefois, l’article 6 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires permet la réalisation « de recrutements distincts pour les femmes ou les hommes ». Cette possibilité reste exceptionnelle dans l’hypothèse où « l’appartenance à l’un ou à l’autre sexe constitue une condition déterminante de l’exercice des fonctions ».

Le principe d’égalité s’applique tant à l’accès à l’emploi qu’aux rémunérations (Conseil d’État, 8 juillet 1998, Adam, Rec., p. 301 ; Cour de cassation, chambre com., 29 octobre 1996, Ponsolle, Bull. civ. IV, n°359.). Afin de lutter contre l’inégalité de traitement et les pratiques discriminatoires, les femmes peuvent se voir accorder des avantages. Le Conseil d’État interdit les discriminations au profit des femmes s’agissant la possibilité de leur réserver certains emplois d’avancement. La discrimination en faveur des femmes ne serait « concevable que si elle était liée à une différence objective dans l’emploi (grossesse ou naissance d’un enfant) » (Conseil d’État, 1968, Michel, Rec., p. 132 ; v. Code constitutionnel et des droits fondamentaux, 2021).

L’égalité formelle (en droit) et l’égalité matérielle des hommes et des femmes représentent deux dimensions différentes du principe d’égalité de traitement. Dans certaines hypothèses, afin de pouvoir garantir une égalité matérielle, il convient d’adopter des mesures avantageuses pour la catégorie de personnes qui se trouve défavorisée. Ce mécanisme d’équilibre est qualifié de « discrimination positive » : paradoxalement, le seul moyen de rétablir ou d’instaurer une égalité en droit est celui des actes discriminatoires (L’expression puise ses origines dans la politique du président états-unien John F. Kennedy qui, dès 1961, dans l’ordre exécutif (executive order) n°10925 établissant le comité du président sur l’égalité des chances dans le domaine de l’emploi,  ouvre une nouvelle étape dans la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe ou la race en obligeant le gouvernement fédéral de prendre des « actions affirmatives » (affirmative action) afin d’atteindre une égalité formelle et matérielle. ).

Al. 4 : Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République.

Le droit d’asile est selon le Conseil un principe de valeur constitutionnelle (CC n°95-307 DC du 25 février 1992), et le législateur ne doit priver le droit d’asile d’aucune garantie essentielle (CC n°2003-485 DC du 4 décembre 2003).

Le droit d’asile implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande (CE Ass. du 13 décembre 1991, Dakoury, n°120560).

Al. 5 : Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

Cet alinéa a essentiellement été utilisé pour garantie la liberté d’accès à l’emploi.

Sur le fondement de cet alinéa en effet de nombreux mécanismes juridiques du monde du travail ont été contrôlés. Tel fut le cas de la clause d’exclusivité d’un salarié vis-à-vis de son employeur, qui porte en principe selon la Cour de cassation atteinte sa la liberté de travail (Soc., 28 février 2001, n°98-46-382). La clause de non-concurrence est quant à elle licite que « dans la mesure où la restriction de liberté qu’elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise » (Soc. 19 novembre 1996, n°94-19.404). Cette liberté n’interdit pas que le législateur limite l’accès de certaines professions à des qualifications particulières (CC n°2011-139 QPC du 24 juin 2011, Assoc. pour le développement économique).

Al. 6 : Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

L’alinéa 6 protège la liberté d’adhésion au syndicat de son choix (CC n°2010-42 QPC du 7 octobre 2010, CFT-FO et a.).

Concernant la liberté syndicale, et notamment la question de la représentativité, le Conseil constitutionnel juge qu’« il est loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en œuvre de la liberté syndicale, de définir des critères de représentativité des organisations syndicales » (décision précédemment citée). De même, un « seuil raisonnable d’audience » comme condition à la représentativité d’une organisation n’est pas inconstitutionnel (Cour de cassation, Assemblée plénière du 18 juin 2010, CFTC Emploi, n°10-40.005).

Si les militaires ne purent pendant longtemps constituer de syndicats, la Cour européenne des droits de l’homme est venue limiter cette interdiction à des « restrictions légitimes conformes au paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. (CEDH 2 octobre 2014, Matelly c. France, n°10609/10) ».

De cet alinéa fut également déduit une protection des élus du personnel ou des responsables syndicaux (CC n°88-244 DC du 20 juillet 1988), ainsi que la possibilité pour certaines organisations syndicales d’ester en justice – par autorisation du législateur – « en faveur de leurs adhérents comme des membres d’un groupe social dont un syndicat estime devoir assurer la défense » (CC n°89-257 DC du 25 juillet 1989).

Al. 7 : Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

La première difficulté liée à ce droit fut la définition de la grève. Un arrêt de la Cour de cassation la définit de la manière suivante : « l’exercice du droit de grève résulte objectivement d’un arrêt collectif et concerté du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles » (Soc. 23 octobre 2007, n°06-17.802).

Afin que l’exercice de ce droit conflictuel puisse se dérouler au mieux, le législateur doit « tracer avec précision la limite séparant les actes et comportements licites des actes et comportements fautifs » (CC n°82-144 DC du 22 octobre 1982), et peut également le limiter (CC n°79-105 DC du 25 juillet 1979).

Le Conseil d’État a précisé « qu’en l’absence de loi applicable, il appartient aux chefs de service de réglementer le droit de grève des fonctionnaires et d’organiser la nécessaire conciliation entre ce droit et la continuité du service public » (CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, n°01645).

Le respect d’autres droits et libertés ou principes à valeur constitutionnelle peuvent fonder une limitation à l’exercice du droit de grève. La nécessité de garantir le respect l’ordre public permet de limiter la grève des services public régaliens (CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, n°01645).

Al. 8 : Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises

Selon le Conseil constitutionnel, il appartient au législateur d’assurer la mise en œuvre de ce principe (CC n°93-328 DC du 16 décembre 1993).

La négociation collective constitue ainsi le moyen privilégié de mise en œuvre des principes du droit du travail et permet généralement de trouver un compromis entre les intérêts de l’employeur et de l’employé comme en témoigne l’existence du « principe de faveur » : une convention collective de travail peut contenir des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements (CC n°89-257 DC du 25 juillet 1989).

A contrario la négociation collective peut porter – si le législateur le permet – sur des règles auxquelles la loi a conféré le caractère d’ordre public, pourvu que l’objet et les conditions de cette dérogation soient déterminés de manière précise (CC n°2004-494 DC du 29 avril 2004).

Témoignage de l’importance accordée à cet outil, le manquement à des obligations issues d’une convention collective peut entrainer des sanctions pénales (CC n°82-145 DC du 10 novembre 1982).

Le principe affirmé à l’alinéa 8 implique également que les représentants des salariés bénéficient des informations nécessaires pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l’entreprise (CC n°93-328 DC du 16 décembre 1993).

Al. 9 : Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité

L’alinéa 9 semble imposer la nationalisation des grands monopoles et des grands services publics nationaux (au sens organique) et interdire corrélativement la privatisation organique de tels biens, entreprises et services.

Mais dans deux décisions, l’une sur les nationalisations (CC n°81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation), l’autre sur les privatisations (CC n°86-297 DC du 25 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social) le Conseil constitutionnel a bien illustré la neutralité économique de la constitution française. Lorsqu’en 1981 le législateur a décidé de nationaliser des dizaines d’entreprises le Conseil constitutionnel a considéré que l’article 17 DDHC imposait seulement une juste et préalable indemnité, sans que la protection du droit de propriété n’interdise le principe des nationalisations (acquisition forcée de la majorité du capital des sociétés). Lorsqu’en 1986 le législateur a décidé de privatiser ces entreprises, le conseil constitutionnel n’a pas identifier de biens, entreprises ou services qui devraient rester propriété de la collectivité en application de l’alinéa 9  (Sur cet alinéa voir Philippe Cossalter, « L’alinéa 9 », in : Gaudemet (Yves), Le préambule de la Constitution de 1946, Ecole doctorale Georges Vedel, 1er juin 2007, Éditions Panthéon-Assas, 2009, pp. 171-195.).

Al. 10 : La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement

Le droit à une vie familiale normale doit être entendu dans un sens concret selon le Conseil constitutionnel qui considère qu’il s’agit d’un droit fondamental de valeur constitutionnelle s’appliquant à tous ceux qui vivent sur le territoire national (CC, décision n°93-325, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, Rec., p. 224.), et ce droit comporte notamment la possibilité pour les étrangers concernés de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs (CC, décision n°93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, Rec., p. 224.) (CC n°93-325 DC du 13 août 1993).

Cet alinéa est le fondement constitutionnel de la protection de catégories de populations considérées vulnérables : y a été dégagé le principe de protection de l’« intérêt supérieur de l’enfant » (CC, décision n°2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019, texte n°4.), mais aussi le principe de solidarité en faveur de personnes défavorisées (CC n°2009-559 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, Rec., p. 218.).

Al. 11 : Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.

La protection de la santé a été consacrée comme un principe constitutionnel (CC, décision n°90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, Rec., p. 11.), et doit être effective dans des lieux aussi divers que des centres de rétention ou les prisons. Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il incombe au législateur, même si la santé n’est pas expressément mentionnée à l’article 34 C, et au gouvernement de déterminer, dans le respect des principes de l’alinéa 11, les modalités de leur mise en œuvre (CC, décision n°86-225 DC, 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social, Rec., p.13.). Le respect de l’alinéa 11 suppose que les organismes de sécurité sociale puissent garantir la protection de la santé. Le Conseil constitutionnel contrôle si l’objectif national de dépenses d’assurance maladie n’est pas fixé à un niveau trop bas pour être adéquat aux exigences constitutionnelles (CC, décision n°2004-508, 16 décembre 2004, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, Rec., p.225.).

De l’alinéa 11 découle également le droit au repos, qui se concrétise dans le repos hebdomadaire reconnu aux salariés (CC, décision n°2009-588 DC du 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, Rec., p. 163.).

Par la loi du 30 octobre 1946, le législateur met en œuvre les exigences de cet alinéa par la réalisation d’un régime d’assurance sociale des accidents du travail et des maladies professionnelles (CC, décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, Epoux L.).

Enfin, cet alinéa combiné à l’alinéa précédent 10 implique la mise en œuvre d’une politique de « solidarité nationale » en faveur aussi bien des personnes défavorisées (CC, décision n°2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, Rec., p. 430.) que des handicapés (CC, décision n°2018-772 DC du 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, JORF n°0272 du 24 novembre 2018, texte n°2.), et ouvre le « droit à un logement décent ».

Al. 12 : La nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.

L’alinéa 12 est une « proclamation » et n’a qu’une valeur déclarative. Le législateur doit par conséquent intervenir afin de la mettre en œuvre. Le « droit à réparation » dégagé par le Conseil constitutionnel est en principe limité aux « dommages » de « fautes civiles » imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes (CC, décision n°82-144 DC, 22 octobre 1982, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, Rec.,p. 61.). L’expression « calamités publiques » concerne quant à elle des événements dommageables, d’une exceptionnelle gravité, survenant de manière imprévisible, provoqués par une force naturelle, ce qui exclut la réparation en lien avec des fautes civiles imputables à une personne physique ou morale de droit privé..

La calamité qualifiée de nationale est d’une telle ampleur que toute la Nation est frappée, ce qui nécessité la mobilisation de la solidarité nationale : elle entre en jeu lorsqu’il est impossible de réparer des dommages en cherchant à engager la responsabilité d’un auteur identifié. En 1946, par la loi n°46-2389 du 28 octobre 1946, le législateur pose le principe de la réparation intégrale des dommages matériels et directs causés aux biens mobiliers et immobiliers, personnels et professionnels, par les faits de guerre. Le législateur a ensuite créé un « fond de secours aux victimes des calamités et sinistres » par la loi n°56-780 du 4 août 1956, puis organise un régime de garantie contre les calamités agricoles par la loi n°64-706 du 10 juillet 1964. Le Conseil constitutionnel vérifie si les lois mettant en œuvre l’alinéa 12 sont conformes à la Constitution et n’entraînent pas par exemple une violation du principe d’égalité (CC, décision n°87-237 DC, 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988, Rec., p. 63.).

 

Al. 13 : la nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.

L’article 13 fait écho à la politique menée sous la IIIe République visant à établir l’enseignement primaire gratuit et obligatoire (À l’initiative de Jules Ferry, on peut mentionner la loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques, la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire.), et à imposer le principe de laïcité aux personnels des écoles (Loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire. ). L’alinéa 13 constitutionnalise ces principes de valeur législative. La première application de cette disposition par le Conseil constitutionnel est en lien avec la liberté de l’enseignement : il estime que le principe de la liberté de l’enseignement est un principe fondamental reconnu par les lois de la République et que l’alinéa 13 n’exclut pas l’existence de l’enseignement privé ni la possibilité d’octroyer une aide de l’État à cet enseignement dans les conditions prévues par la loi (CC, décision n°77-87 DC, 23 novembre 1977, Loi complémentaire à la loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n°71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l’enseignement, Rec.,p. 42.).

La gratuité de l’enseignement est absolue (Conseil d’État, 7 janvier 1932, Delbos, Rec., p. 15.) s’agissant de l’enseignement maternel, primaire et secondaire à l’exception des établissements d’enseignement situés à l’étranger. En ce qui concerne l’enseignement supérieur : l’application du présent alinéa n’est que relative. Le Conseil constitutionnel, tout en affirmant qu’il « résulte de ces dispositions que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public », n’a pas exclu la possibilité d’avoir des droits d’inscriptions évolutifs, « en tenant compte […] des capacités financières des étudiants » (CC, décision n°2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres, JORF n°0238 du 12 octobre 2019, texte n°81.).

Le principe de laïcité de l’enseignement public est un des éléments de la laïcité de l’État (CE, 10 mars 1995, Aoukili, n°159981): la neutralité est donc exigée de la part des programmes et des enseignants, et toute discrimination dans l’accès à l’enseignement qui serait fondée sur les convictions religieuses ou les croyances des élèves est interdite (CE, 27 novembre 1989, avis n°346893.). Néanmoins le port de signes religieux jusqu’au secondaire peut être interdit (CE, Sect. 8 octobre 2004, Union française pour la cohésion nationale, n°269077).

 

Al. 14 : La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple.

Pour le Conseil constitutionnel, l’ alinéa 14 se réfère notamment à la règle « pacta sunt servanda » : tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi (CC, décision n°92-308 DC, 9 avril 1992, Traité sur l’Union européenne, Rec., p. 55.).

Le Conseil d’État a quant à lui étendu les règles relatives à la responsabilité du fait des lois et des traités aux préjudices résultant d’une règle coutumière (CE, 4 octobre 1999, n°142377.), et accepte de faire application de règles de droit international non écrit comme la coutume ou les principes du droit international (CE 23 octobre 1987, Société Nachfolger Navigation, n°72951). Cet alinéa ne peut cependant servir de fondement – comme l’article 55 de la Constitution – pour estimer que la coutume internationale a une autorité supérieure à celle des lois (CE Ass. 6 juin 1997, Aquarone, n°148683.). La Cour de cassation est quant à elle plus favorable au droit international non écrit, et n’hésite pas faire primer la coutume sur le droit interne (Cass. crim. 13 mars 2001, Kadhafi, n°00-87.215.).

Al. 15 : Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de paix

Cette disposition visait à permettre à la France de participer aux mécanismes de sécurité collective prévus par les chapitres VI (Règlement pacifique des différends) et VII (Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression) de la Charte des Nations Unis. A cette fin, la Constitution devait prévoir la possibilité d’un transfert de souveraineté car ces mécanismes impliquaient l’exercice de compétences qui relevaient des prérogatives des États. Les limitations de souveraineté sont prévues par les conventions internationales. L’article 53 de la Constitution fait ainsi mention des « traités relatifs à l’organisation internationale » et des « traités de paix » ratifiés en vertu d’une loi. Les limitations de souveraineté sont consenties sous réserve de réciprocité. S’agissant des Communautés européennes, puis de l’Union européenne, le traité de Rome, dans son préambule, se réfère à la volonté des États d’ « affermir les sauvegardes de la paix », mais les transferts de compétence dans le cadre de l’organisation européenne vont au-delà de cette formulation. La révision constitutionnelle du 25 juin 1992 introduit l’article 88-1 consacré aux Communautés, aujourd’hui à l’Union et scelle la spécificité de cet organisme de droit international sui generis. Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions « permettent à la France de participer à la création et au développement d’une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l’effet de transferts de compétences consentis par les États membres » (CC, décision n°2004-505, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Rec., p. 173.).

Les limitations de souveraineté doivent répondre à trois conditions : l’engagement ne doit pas être contraire à la Constitution (CC, décision n°2004-505, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Rec., p. 173.), il ne doit pas mettre en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis (CC, décision n°85-188 DC, 22 mai 1985, Protocole n°6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort.) et ne doit pas porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale (CC, décision n°70-39, 19 juin 1970, Traité signé à Luxembourg le 22 avril 1970 portant modification de certaines dispositions budgétaires des traités instituant les communautés européenne, Rec., p. 15.).