§1. De la réunion des Etats-généraux à la Convention

Nous ne pourrons pas donner un panorama, même très partiel, de la Révolution français dans le cadre du présent cours.

Nous nous contenterons ici de présenter les grands textes qui ont été adoptés entre la réunion des Etats généraux et la fin de la Monarchie.

A./ Présentation synthétique

Confronté à une profonde crise financière causée par l’archaïsme du système fiscal, le roi de France Louis XVI décide de convoquer les Etats généraux. Cette assemblée réunit, depuis le début du XIVème siècle, les représentants des trois Ordres de la société, la Noblesse, le Clergé et le Tiers-état (l’équivalent des commons britanniques). Les Etats généraux ont essentiellement une fonction fiscale : ils doivent consentir à l’impôt. Ces Etats généraux sont convoqués pour la première fois depuis 1615 et se réunissent donc le 5 mai 1789 pour permettre au Roi de réformer le système fiscal. Ce système est fondé sur le principe de l’exemption fiscale de la Noblesse et du Clergé, pourtant détenteurs du capital productif et non productif. Toutes les tentatives de réforme ont été bloquées par les Parlements, assemblées essentiellement chargées de la fonction judiciaire mais également du contrôle des actes royaux.

Les Etats généraux réunis se constituent rapidement en Assemblée nationale constituante. Du travail de cette Assemblée sortent des textes majeurs. En dehors des deux textes constitutionnels que constitueront la Constitution du 3 septembre 1791 et son préambule (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789), deux ensembles de textes révolutionnaires doivent retenir l’attention.

Le premier ensemble de textes est composé de deux lois. La première est la « loi d’Allarde » du 17 mars 1791 qui établit la liberté du commerce et de l’industrie et dont l’article 7 est toujours en vigueur, même si ses termes sont très datés [1]. La loi dite « Le Chapelier » date du 14 juin 1791 et est relative aux assemblées d’ouvriers et artisans de même état et profession. La loi Le Chapelier interdit les corporations professionnelles et servira durant une partie du XIXème siècle à interdire le syndicalisme ouvrier aussi bien que patronal. Ces deux textes, qui sont en parfait accord avec les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ancrent le libéralisme économique dans la tradition juridique française.

Par ailleurs les premiers textes révolutionnaires vont ancrer dans la tradition la défiance de la société et du système juridique français envers la fonction judiciaire. Cette défiance provient essentiellement d’une réaction à l’opposition systématique des Parlements à toute réforme fiscale. La loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire établit un principe de séparation stricte de la fonction judiciaire par rapport au législatif et à l’exécutif. Trois articles restent en vigueur. L’article 10 interdit aux tribunaux de prendre directement ou indirectement part à l’exercice du pouvoir législatif [2]. L’article 12 interdit aux tribunaux de faire des règlements [3], comme le fera plus tard l’article 5 du code civil [4].  L’article 13 enfin, le plus célèbre et le plus lourd de conséquences, établit que « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». C’est sur le fondement de cet article que va se construire la juridiction administrative, puisqu’il était interdit au juge ordinaire de connaître des affaires de l’administration (v. xxx par ailleurs). L’interdiction posée par l’article 13 de la loi de 1790 sera réitérée par l’article unique du décret du 2 septembre 1795 (16 fructidor an III selon le calendrier révolutionnaire) [5], toujours en vigueur.

L’œuvre des premiers révolutionnaires est surtout incarnée par les textes constitutionnels que nous avons cités. Sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, nous renvoyons aux développement spécifiques que nous consacrons par ailleurs au texte (v. xxx par ailleurs).

L’Assemblée nationale constituante adoptera par ailleurs la première constitution française, le 3 septembre 1791. Cette constitution établit un principe de monarchie parlementaire. Le législatif est exercé par un assemblée unique, l’Assemblée nationale. L’exécutif est assuré par le Roi. La fonction exécutive qu’il exerce est très strictement limitée à l’exécution des lois. Le Roi participe par ailleurs à la fonction législative par l’exercice du droit de véto. Si le roi est irresponsable, les ministres qu’il désigne librement engagent une responsabilité pénale qui se transformera rapidement, à l’image de la procédure d’impeachment dont elle s’inspire, en responsabilité politique.

Quant au droit de suffrage, les premiers révolutionnaires sont attachés à l’électorat-fonction et non à l’électorat-droit, ce qui signifie que le droit de vote pourra être exercé par une partie limitée de la population, par suffrage censitaire, pour désigner les représentants de la nation.

La Constitution du 3 septembre 1791 n’aura qu’une durée de vie limitée. Elle prend fin avec l’abolition de la monarchie, prononcée par le décret du 21 septembre 1792.

Depuis le 10 août 1792 déjà la famille royale avait été emprisonnée, Louis XVI suspendu de ses fonctions et une Convention nationale élus au suffrage universel avait été chargée de rédiger une nouvelle Constitution. C’est lors de sa première réunion, le 21 septembre 1792, que cette convention abolira la royauté avant de commencer le travail de rédaction de la nouvelle constitution.

[1] Loi du 17 mars 1791, portant suspension de tous les droits d’aides, de toutes les maîtrises et jurandes et établissement des droits de patente, article 7 : « A compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix, et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits ».

[2] Loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, art. 10 : « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture ».

[3] Loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, art. 12 : « Ils ne pourront point faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle ».

[4] Code civil, art. 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».

[5] Décret du 16 fructidor an III qui défend aux tribunaux de connaître des actes d’administration, et annule toutes procédures et jugements intervenus à cet égard : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».

B./ Repère chronologiques

Les lettres de convocation aux États généraux partent de Versailles en janvier 1789.

En décembre 1788, Necker acceptait le doublement du Tiers, mais sans accepter le vote par tête.

5 mai 1789 : ouverture des États généraux à Versailles

291 représentants du Clergé, 270 Noblesse, 578 Tiers état.

6 mai 1789 : le tiers demande que les 2 autres ordres se joignent à lui. Refus.

19 mai 1789 : les journaux ont le droit de publier des comptes rendus des séances

17 juin 1789 : les Communes se réunissent en Assemblée nationale

Necker propose le vote par tête. Le roi flotte encore. La noblesse demande au roi de la soutenir. Pour éviter de prendre parti, le roi décide de fermer la salle où se réunit le Tiers. Les députés se réunissent dans la salle du jeu de Paume.

20 juin 1789 : Serment du jeu de Paume

Matthieu Bertozzo, ‘ Les journées de juin 1789, du « coup d’État révolutionnaire » aux coups d’éclats, ‘ : Revue générale du droit on line, 2016, numéro 24019 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=24019)

22 juin 1789 : le roi ordonne le vote par Ordre et la dispersion de l’Assemblée nationale.

23 juin 1789 : Mirabeau : « Allez dire à vore maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ».

27 juin 1789 : Le roi accepte la réunion des 3 ordres

Mais le roi n’avait cédé qu’en apparence. Il réunit 30.000 hommes qui campent près de Paris.

14 juillet 1789 : Prise de la Bastille

4 août 1789 : Décision d’élaborer une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et abolition des privilèges

21 août 1789 : Louis XVI publie mais ne promulgue pas les décrets du 4 août

22 août 1789 : vote du premier article de la future constitution :

« Le gouvernement français est monarchique. Il n’y a point en France d’autorité supérieure à la Loi ; le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la Loi qu’il peut exiger l’obéissance ».

26 août 1789 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789

[LIEN]

11 septembre 1789 : Le roi se voit accorder un véto suspensif pour 2 législatures.

6 octobre 1789 : Envahissement de Versailles. La famille royale aux Tuilleries.

12 juillet 1790 : Constitution civile du clergé

20-21 juin 1791 : Fuite à Varennes

25 juin 1791 : Louis XVI est suspendu de ses fonctions

Les membres du Club des Cordeliers et du Club des Jacobins demandent la destitution de Louis XVI.

Ils s’opposent aux membres du club des Feuillants (dont Barnave et Lameth), attachés à la Monarchie parlementaire et à l’inviolabilité du roi.

17 juillet 1791 : La Fayette fait tirer sur la foule

3 septembre 1791 : Adoption de la Constitution

C./ Les textes : la Constitution de 1791 et son Préambule, les grandes lois

1) La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est un texte universellement connu. Son importance tient à sa valeur symbolique bien plus qu’au contenu exact de ses dispositions. C’est au contenu de ces dispositions que nous nous consacrerons ici.

Avant de les évoquer rapidement, rappelons le statut juridique du texte.

a) La valeur juridique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adopté aux prémices de la Révolution française pour servir de préambule à la Constitution que les membres de l’Assemblée nationale avaient juré de rédiger lors du Serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789. La rédaction d’une telle Déclaration a été décidée durant la fameuse nuit du 4 août 1789 qui a également vu l’abolition des privilèges. Le texte de dix-sept articles a été rédigé du 20 au 26 août.

L’existence de la Déclaration en tant que texte constitutionnel a cependant été très courte. Le texte a reçu le véto royal le 5 octobre 1789, en même temps que les « articles de la constitution », texte sommaire qui posait les bases de la future constitution (monarchie parlementaire, monocamérisme, souveraineté nationale). La Déclaration est ensuite devenue le préambule de la première constitution française écrite, la constitution du 3 septembre 1791. Elle est sortie de vigueur avec l’abolition de la monarchie par déclaration de la Convention nationale le 21 septembre 1792. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’a plus eu de valeur normative jusqu’à la promulgation de la constitution du 27 octobre 1946. Mais, pour reprendre les termes d’un conseiller d’Etat en 1917, « la déclaration des droits de l’homme [était], implicitement ou explicitement, au frontispice des constitutions républicaines » (Louis Corneille, conclusions sur C.E, Sect., 10 août 1917, Baldy, rec. 636).

C’est le Préambule de la constitution de 1946 qui a redonné vie à la Déclaration de 1789. Comme nous le verrons, l’adoption de la Constitution de 1946 est un moment essentiel de la vie constitutionnelle française. L’année 1946 marque l’ajout, dans le corpus constitutionnel aussi bien que dans l’imaginaire collectif, des valeurs de gauche aux valeurs libérales et bourgeoises consacrées par la Révolution française. Un premier projet de constitution, voté par une assemblée constituante le 19 avril 1946 a été rejeté à 53 % par referendum. C’est un second projet qui deviendra la constitution de la IVème République. Tandis que le premier projet proposait une nouvelle déclaration des droits, le second renvoie explicitement à la Déclaration de 1789 et y ajoute des « principes politiques, économiques et sociaux […] particulièrement nécessaires à notre temps ».

C’est ainsi que la Déclaration de 1789, abrogée en 1792, a repris valeur de droit constitutionnel positif le 27 octobre 1946 pour ne plus ressortir de l’ordre juridique français.

La valeur juridique de la Déclaration a été reconnue par le Conseil d’Etat sous l’empire de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle a été reconnue sous l’empire de la Constitution de 1958 par la décision Eky précitée (CE Sect., 12 février 1960, Société Eky, req. N° numéro 46922, rec. p. 101).

b) Présentation générale de la Déclaration

A venir

c) Présentation article par article

Les dix-sept articles de la Déclaration constituent des éléments essentiels du droit constitutionnel français contemporain. Aucun d’entre eux n’est restreint dans un rôle purement déclaratoire : ils ont tous un impact sur le droit positif.

Article 1 : Principe général d’égalité

Le principe d’égalité, si important en droit français, se retrouve sous trois formes dans la Déclaration : à l’article 1er sous la forme d’une déclaration générale, à l’article 6 sous la forme du principe d’égalité devant la loi, à l’article 13 dans l’égalité devant les charges publiques. C’est sans conteste l’article 6 qui a le plus d’influence sur le droit positif.

Aux termes de l’article 1er de la Déclaration : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Etrangement, par son caractère très général l’article 1er, si important symboliquement, n’a que peu d’applications en droit constitutionnel positif. Sur le plan symbolique, cet article condamne le système des privilèges de l’Ancien Régime est légitime les nouvelles distinctions sociales fondées sur l’utilité commune. Le Conseil constitutionnel fait parfois appel à cet article comme « argument d’appui à portée symbolique forte »  (Thierry Renoux, Michel de Villiers et Xavier Magnon, Code constitutionnel, édition 2019.). Il a été utilisé pour la première fois en 2007 à l’occasion du contrôle d’une loi relative aux contrôles ADN des mineurs étrangers (CC, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Verpeaux, Michel, « Des jurisprudences classiques au service de la prudence du juge. A propos de la décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile », La Semaine juridique. Édition générale, 2008, n° 1, p. 20-24.). Son usage semble depuis être réservé aux questions ayant des résonnances ethniques (V. pour son utilisation concernant une loi portant sur les gens du voyage : CC 5 octobre 2012, n° 2012-279 QPC, cons. 12 et 13).).

Article 2 : Les droits naturels et imprescriptibles de l’homme

L’article 2 de la Déclaration établit une liste de quatre droits naturels et imprescriptibles de l’homme : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Ces quatre droits sont ici énoncés à titre général et sont protégés par ailleurs, soit directement dans la Déclaration, soit dans d’autres dispositions constitutionnelles.

La liberté

La liberté, outre à l’article 2, est protégée aux article 4 DDHC (liberté d’entreprendre, liberté contractuelle) 11 DDHC (liberté de communication, liberté d’expression). Elle est protégée par les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République évoqués à l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946 et dégagés par le Conseil constitutionnel et plus précisément la liberté d’association, la liberté individuelle, la liberté d’enseignement, la liberté de conscience. La liberté syndicale est garantie à l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946. La Constitution de 1958 garantit à l’alinéa 2 de son préambule et à son article 53 la libre détermination des peuples ; l’article 3 C garantit la liberté du suffrage ; l’article 4 C garantit la liberté de formation des partis et groupements politiques. L’article 66 garantit la liberté individuelle. L’article 72 C enfin, garantit la libre administration des collectivités territoriales.

Nous venons de citer la liberté individuelle de l’article 66 C. Il est ici nécessaire d’apporter des précisions terminologiques et notionnelles.

Sur le plan terminologique il est nécessaire de distinguer la liberté individuelle (au singulier) et les libertés individuelles (au pluriel). Le terme « liberté individuelles » au pluriel désigné l’ensemble des droits et libertés fondamentaux attachés à l’individu par opposition aux « libertés collectives » qui, reconnues à un groupe d’individus, déterminent une forme d’exercice collectif de certains doits et libertés, comme la liberté d’association ou la liberté de réunion (V. Favoreu, 14ème édition, p. 819).  La « liberté individuelle » désigne la protection de l’individu contre les formes de limitation de sa liberté « corporelle » ou la détermination d’un espace intime de l’individu, inviolable par les pouvoirs publics.

A cet égard une évolution a eu lieu et un glissement notionnel a été opéré par le Conseil constitutionnel. Si les articles 2 et 4 de la Déclaration protègent la liberté personnelle, l’article 66 C confie au juge judiciaire la protection de la liberté individuelle. Les deux notions ont pu un temps paraître équivalentes mais il n’en est rien. L’interprétation initiale de la notion de liberté individuelle de l’article 66 C était large. Par exemple dans sa décision dite « fouille des véhicules » de 1977 le Conseil constitutionnel rattache la protection du véhicule privé à la liberté individuelle (CC, décision 76-75 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales (« Fouille de véhicules »).). Dans sa décision du 13 août 1993 le Conseil constitutionnel considère que sont des composantes de la liberté individuelle notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale (cons. 3) et l’inviolabilité du domicile (cons. 9)  (CC, décision 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.). Le Conseil constitutionnel va progressivement détacher de la liberté individuelle le respect de la vie privé  (CC, décision 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, cons. 60 et 62.), la liberté d’aller et venir   (CC, décision 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 2 et 20.), l’inviolabilité du domicile pour les rattacher aux articles 2 et 4 DDHC  (CC, décision 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 8. CC, décision 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 4.).

Il résulte de ces évolutions que la liberté individuelle de l’article 66 est limitée aux mesures restreignant strictement la liberté corporelle de l’individu (essentiellement emprisonnement ou hospitalisation d’office, assignations à domicile pour une durée de plus de 12 heures par jour  (CC, QPC, 22 décembre 2015, décision n° 2015-527.)). Elle correspond à la sûreté visée à l’article 2.

La sûreté

Nous venons de le dire, la sûreté est une forme particulière de liberté : elle correspond dans sa forme actuelle à la liberté individuelle de l’article 66 de la Constitution.

La propriété

La consécration de la propriété comme droit naturel et imprescriptible marque évidemment l’attachement des révolutionnaires à la garantie de la propriété privée mais également à toutes ses implications directes et indirectes, notamment la liberté d’entreprendre. La Déclaration protège la propriété à deux endroits : à l’article 2 qui vise par son caractère très général englobe toutes les atteintes à la propriété et l’article 17 (v. infra) qui défend l’individu contre les privations de sa propriété (Sur la distinction entre atteintes au droit de propriété et privation du droit de propriété, v. par exemple : CC, 1er août 2013, décision 2013-337 QPC.).

La résistance à l’oppression

Le contenu précis de la résistance à l’oppression est difficile à déterminer. La consécration de ce droit naturel de l’homme est probablement marquée par l’histoire et la volonté de justifier la désobéissance civile contre les abus du pouvoir monarchique. Si le Conseil constitutionnel a consacré sa valeur juridique de manière incidente (Dans sa célèbre décision « Loi de nationalisation », le Conseil constitutionnel se contente en réalité de constater que la résistance à l’oppression est mise au même rang que le droit de propriété. CC, 16 janvier 1982, décision n° 81-132 DC « Loi de nationalisation », cons. 16.) il n’a jamais eu l’occasion d’en déterminer le contenu.

Article 3 : Le principe de la souveraineté nationale

Aux termes de l’article 3 « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Nous avons vu par ailleurs que la référence à la souveraineté de la nation plutôt qu’à la souveraineté du peuple avait permis aux révolutionnaires de 1789 de consacrer le suffrage censitaire : si la souveraineté appartient à la nation et pas au peuple, le vote n’est pas un droit mais une fonction.

Le contenu que l’on peut donner à l’article 3 DDHC a été renouvelé par les textes ultérieurs, notamment la Constitution du 27 octobre 1946 dont l’article 3 alinéa 1er dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple français ». L’alinéa 1 du préambule de la constitution de 1958 énonce que « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 […] » tandis que l’article 3 de la Constitution énonce que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La garantie de la souveraineté nationale implique d’abord que l’expression de sa volonté par le peuple, par la voie du referendum, prive le Conseil constitutionnel de la possibilité d’exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi. Quand le peuple s’exprime directement, c’est le souverain qui parle (Le Conseil constitutionnel refuse d’examiner la constitutionnalité d’une loi référendaire qui modifie la constitution, même selon une procédure qui semble inconstitutionnelle. CC 6 novembre 1962, décision 62-20 DC. V. aussi CC, 23 septembre 1992, décision 92-313 DC.). La souveraineté nationale est par ailleurs assimilée à la garantie de la souveraineté de l’Etat dans l’ordre international. Le Conseil constitutionnel, saisi du contrôle préalable de la compatibilité entre les Traités internationaux et la Constitution sur le fondement de l’article 54 C. est attentif à la garantie des « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »  (C’est par référence aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale que le Conseil constitutionnel examine les abandons de souveraineté entraînés par les traités européens, en particulier depuis le Traité de Maastricht. V. CC 9 avril 1992, décision n° 92-308 DC).

Article 4 : Le rapport entre droit et liberté

L’article 4 consacre le principe de liberté en établissant le rapport, désormais classique, entre droit et liberté : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». L’article 4, lu avec l’article 5 DDHC (v. ci-dessous) établit le principe selon lequel en droit français, « la liberté est la règle et la restriction, l’exception » (Cette phrase est habituellement attribuée au commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat Baldy du 10 août 1917.).

Nous avons déjà eu l’occasion de la souligner, cette définition de la liberté est un chef d’œuvre par sa clarté et sa concision. C’est également un tour de force d’avoir garanti la liberté tout en posant comme corollaire nécessaire et immédiat le respect de la loi. Nous n’y reviendrons pas.

Notons par ailleurs que l’article 4 DDHC est loin d’être le seul article à garantir une liberté au sein des sources constitutionnelles françaises. Sans vouloir être exhaustif, notons la liberté individuelle (art. 2 DDHC, art. 66 C), le droit au respect de la vie privée (art. 2 DDHC), la liberté d’association (v. PFRLR), la liberté d’enseignement (v. PFRLR), la liberté de conscience et d’opinion (art. 10 DDHC, art. 5 préambule 1946), liberté d’expression et de communication (même fondement).

Selon le Conseil constitutionnel, l’article 4 DDHC fonde plus spécifiquement la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle ainsi que les principes de responsabilité et de réparation civiles.

La liberté d’entreprendre implique la liberté d’accès et la liberté d’exercice d’une profession ou d’une activité économique (CC, 30 novembre 2012, décision n° 2012-285 QPC, cons. 7.). C’est le pendant constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie (xxx référence xxx). Le Conseil constitutionnel accepte assez largement les atteintes à la liberté d’entreprendre qui doit fréquemment être conciliée avec d’autres droits et libertés ou des considérations d’intérêt général comme la lutte contre le tabagisme (CC, 8 janvier 1991, décision n° 90-283 DC, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, cons. 15.), ou la limitation du travail de nuit pour des raisons là encore de santé publique (CC, 4 avril 2014, décision n° 2014-373 QPC, Société Sephora [Conditions de recours au travail de nuit], cons. 14 à 17.). Le Conseil constitutionnel exerce dans ce domaine un classique contrôle de proportionnalité en considérant « qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »  (CC, 16 janvier 2001, décision n° 2000-439 DC, Loi relative à l’archéologie préventive, cons. 4.).

La liberté contractuelle a été élevée au rang constitutionnel assez récemment avant même d’être énoncée explicitement à l’article 1102 du code civil (V. par exemple CC, 13 juin 2013, décision n° 2013-672 DC, Loi relative à la sécurisation de l’emploi, cons. 6.). Le Conseil constitutionnel, se fondant sur l’article 4 DDHC reconnait la liberté de contracter ou de ne pas contracter d’une part, et le droit au maintien des conventions légalement conclues qu’il assoit également sur l’article 16 DDHC (v. infra) (CC, 13 juin 2013, décision n° 2013-672 DC, précité, cons. 6.). Les modalités de protection de la liberté contractuelle sont comparables à celles de la liberté d’entreprendre, il est possible d’y porter atteinte pour assurer d’autres exigences constitutionnelles à condition que l’atteinte soit proportionnée à l’objectif poursuivi (Ibid.).

L’article 4 DDHC est enfin le fondement direct d’un principe de responsabilité personnelle. Le Conseil constitutionnel l’énonce dans un considérant qui frappe pas sa clarté : […] nul n’ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (CC 22 octobre 1982, décision n° 82-144 DC, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, cons. 3.) élevant au rang constitutionnel le principe classique énoncé à l’ancien article 1382 du code civil (nouvel article 1240).

Article 5 : La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société

« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ; et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

Il s’agit d’une disposition de formulation générale dont l’application n’est pas fréquente ou intervient en liaison avec d’autres normes de rang constitutionnel.

La seconde phrase de l’article 5 formule le principe selon lequel la liberté est la règle générale et les dispositions restrictives portant sur les modalités d’exercice d’une liberté ne doivent pas être disproportionnées. Dès 1982, sans se référer explicitement à cet article de la DDHC, le Conseil conclut qu’une « réglementation, qui répond dans des circonstances données à la sauvegarde de l’ordre public, ne doit pas excéder ce qui est nécessaire à garantir l’exercice d’une liberté » (CC, 27 juillet 1982, décision n°82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle, cons. 4. ). Par la suite, le Conseil constitutionnel voit dans l’article 5 combiné aux articles 4, 6 et 16 DDHC le fondement de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (CC, 16 décembre 1999, décision n°99-421 DC, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13.) que nous avons évoqué par ailleurs. Le principe d’intelligibilité de la loi dont fait partie l’exigence de clarté de la loi commande au législateur de garantir des dispositions normatives exemptes d’une interprétation contraire à la Constitution et contre le risque d’arbitraire en adoptant des règles législatives suffisamment précises (CC, 27 juillet 2006, décision n°2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 9.).

Article 6 : Egalité devant la loi

L’article 6, contrairement à l’article 1 a une portée juridique considérable. C’est cet article qui, historiquement, fonde le principe d’égalité en droit constitutionnel français. Ses usages, par le juge administratif aussi bien que par le juge constitutionnel, sont innombrables.

Aux termes de l’article 6 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Le Conseil constitutionnel a en réalité tiré deux séries de principes de cet article. De la première phrase découle une obligation générale de qualité de la loi. Les phrases 2, 3 et 4 fondent le principe d’égalité sous ses différentes formes.

Une obligation générale de qualité de la loi

L’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi découle principalement de l’article 6, même si le Conseil constitutionnel se réfère ensemble aux articles 4,5, 6 et 16. Le Conseil constitutionnel a par exemple jugé que l’égalité devant la loi énoncée à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables.  Une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » (CC 16 décembre 1999, décision 99-421 DC, considérant 13). Ce principe impose que le législateur adopte des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (CC, 29 avril 2004, décision n° 2004-494 DC, considérant 10).

De l’article 6, le Conseil constitutionnel a également déduit un autre principe : celui du caractère normatif de la loi. La pratique des lois purement déclaratoires s’est développée autour des années 2000. Des lois dites « mémorielles » ont été adoptées, par exemple la loi n°2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de censurer une telle loi mémorielle mais il est évident que le principe qu’il a dégagé, qui est d’application générale, a une résonnance particulière dans ce domaine. Dans une décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, le Conseil constitutionnel a énoncé (considérant n° 4) qu’il résultait de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative »  (V. aussi le premier arrêt de principe en la matière : CC 29 juillet 2004, n° 2004-500 DC, considérant 12.). Afin de permettre au Parlement de s’exprimer de manière symbolique la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution un article 34-1 dont l’alinéa 1er dispose que « Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ». Une résolution n’a aucun caractère normatif.

Le principe d’égalité

Comme nous l’avons exposé, le principe d’égalité est l’un des principes structurants de l’ordre juridique français. Sujet à d’innombrables adaptations et compromis en raison même de son champs d’application, il irrigue la plupart des domaines du droit public.

Précisons en premier lieu que le principe d’égalité devant la loi ne renvoie pas à la « loi » (Gesetz) mais à l’ensemble des normes générales et impersonnelles : les textes législatifs votés par le Parlement, les actes réglementaires adoptés par l’exécutif national, les actes réglementaires adoptés par les exécutifs locaux. Il s’agit donc la loi « loi » au sens matériel et non au sens organique.

Il convient d’ajouter que si l’article 6 de la Déclaration est l’expression la plus ancienne et la plus importante du principe d’égalité, on retrouve ce principe dans de nombreux autres textes constitutionnels : à l’alinéa 1er du préambule de la Constitution de 1946 (réaffirmation de l’égalité de tous les êtres humains sans distinction de race, de religion ni de croyance), à l’alinéa 3 du même texte (égalité entre les femmes et les hommes), à l’article premier de la Constitution de 1958 (égalité devant la loi), article 3 de la Constitution (la souveraineté appartient au peuple dans son ensemble) (v. par ailleurs les développements consacrés au principe d’égalité).

Article 7 : Légalité des délits et des peines

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »

L’article 7 forme, avec l’article 8, un ensemble normatif comportant le principe de légalité en matière pénale. Le contenu de l’article 7 est également exprimé à l’article 111-3 du Code pénal  qui dispose que « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement ».

Article 8 : Légalité des délits et des peines, proportionnalité et non-rétroactivié

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Il résulte de l’article 8 qu’aucune peine ne peut être prononcée sans le respect des principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. 

Ces principes sont applicables « à toute sanction ayant le caractère de punition » prononcée par un juge ou par une autorité administrative (privation de liberté, amendes…) (CC, 17 janvier 1989, décision n°88-248 DC, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons. 35 : « Considérant que ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ». ). Les sanctions peuvent également être de nature financière sans qu’elles soient constitutives d’une amende (majorations fiscales ou réparations) ou de nature disciplinaire, revêtir la forme d’une interdiction ou d’un retrait d’autorisation.

La nécessité des peines doit être entendue à la lumière de l’article 5 DDHC : seules les actions nuisibles à la société peuvent être pénalement sanctionnées.

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale a été réaffirmé dans les déclarations de l’époque révolutionnaire postérieure à la DDHC : l’article 14 de la Déclaration de 1793, l’article 14 de la Déclaration de l’an III. Plus tardivement, la Déclaration accompagnant le premier projet de Constitution de 1946 (projet finalement rejeté par referendum), dans son article 10, dispose de manière plus générale que « la loi ne peut avoir un effet rétroactif » en ne ciblant pas expressément le domaine du droit pénal. Mais le principe de non-rétroactivité de la loi ne sera pas retenu au plus constitutionnel et il n’apparaît que dans les dispositions préliminaires du code civil.

Le principe défini à l’article 8 DDHC ne s’applique qu’en matière répressive (CC, 29 décembre 1989, décision n°89-268 DC, Loi de finances pour 1990, cons. 39 : « Considérant, d’autre part, que le principe de non-rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive […] ». ) et contient deux règles : la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce (in mitius). Ce dernier principe n’est pas mentionné expressis verbis ni dans la DDHC ni dans une autre disposition de valeur constitutionnelle. Le nouveau Code pénal le consacre au rang législatif : « Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes » (article 112-1).

Article 9 : Présomption d’innocence

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

L’article 9 consacre le principe de présomption d’innocence. Le Conseil constitutionnel intervient le plus souvent en matière de procédure pénale (CC, 21 février 2008, décision n°2008-672 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 12 : « Considérant que la rétention de sûreté et la surveillance ne sont pas des mesures répressives ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de la présomption d’innocence est inopérant ».) en faisant référence à la présomption d’innocence qui est longtemps restée occultée par les textes de nature pénale. À titre d’exemple, le Code de procédure pénale n’y faisait aucune référence jusqu’à la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ». L’article 9 déclare également le principe de proportionnalité des restrictions à la liberté individuelle. Plus intéressant encore, le Conseil constitutionnel, en procédant à une lecture combinée de l’article 9 et de l’article 8, conclut au principe de la nécessité de l’existence d’un élément moral intentionnel ou non de l’infraction faisant l’objet d’une sanction. 

La procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » de l’article 495-7 du Code de procédure pénale semblait poser des difficultés au regard du principe de la présomption d’innocence car il n’est pas sûr qu’en mettant en application ce mécanisme, apparenté au « plaider coupable » existant dans d’autres ordres juridiques, la culpabilité (reconnue) puisse vraiment être établie. Le Conseil constitutionnel valide pourtant le dispositif en décidant que « ni cette disposition ni aucune autre de la Constitution n’interdit à une personne de reconnaître librement sa culpabilité » (CC, 2 mars 2004, décision n°2008-562 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 12. ).

Le principe de proportionnalité possède un champ d’application plus étendu que le principe de nécessité des peines de l’article 8. Il s’applique à toutes les sanctions présentant les caractéristiques d’une punition : les mesures de rétention administrative, de rétention judiciaire, la garde à vue, la détention provisoire (CC, 13 mars 2003, décision n°2003-467 DC, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 54 ; CC, 30 juillet 2010 décision n°2010-14/22 QPC, cons. 29 : « […] la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ».).

Enfin, il résulte de l’article 8 combiné avec l’article 8 que la culpabilité ne peut être la conséquence de la seule imputabilité matérielle des actes sanctionnés. Il convient de rechercher l’élément moral de l’infraction (CC, 16 juin 1999, décision n°99-411 DC, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 16 : « Considérant […] qu’il résulte de l’article 9 […], s’agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l’article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l’article 8 […], la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci ».).

Article 10 : Liberté d’opinion et liberté de conscience

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

La liberté d’opinion et la liberté de conscience (mot qui n’est pas expressément mentionné) peuvent être qualifiées des libertés « intérieures » et « ne connaissent de limitations que lors de leur extériorisation » (Michel Lascombe, avec la participation de Xavier Vandendriessche et Christelle de Gaudemont, Code constitutionnel et des droits fondamentaux commenté, 2e édition, Dalloz, 2013, p. 176 s. ). Cet aspect extérieur fait partie de la liberté d’expression et de communication de l’article 11 de la Déclaration. Le Conseil constitutionnel a considéré dans un premier temps que la liberté de conscience était un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 novembre 1977, décision n°77-87 DC, Loi relative à la liberté de l’enseignement, cons. 5.) pour se référer ensuite à l’article 10 (CC, 27 juin 2001, décision n°2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 13 : « Considérant qu’aux termes de l’article 10 […] ; que la liberté de conscience constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».).

La liberté d’opinion et la liberté de conscience trouvent à s’appliquer dans le domaine de la fonction publique ou encore en droit du travail. S’agissant de la fonction publique, la liberté d’opinion doit être tempérée par l’obligation de réserve qui incombe aux agents conformément à leur statut et la liberté de conscience peut être exercée par les fonctionnaires mais cet exercice doit être concilié avec l’obligation de neutralité.

En ce qui concerne le droit du travail (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel, Rec., p. 308.), l’article 10 est repris par le préambule de la Constitution de 1946 (article 5) : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » et par le Code du travail (article L. 1132-1) : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement […] en raison de […] ses opinions politiques, […] de ses convictions religieuses ».

Article 11 : liberté de communication

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Le Conseil constitutionnel qualifié la liberté de communication de « liberté fondamentale » et d’une condition de la démocratie et l’une des garantis du respect des autres droits et libertés (CC, 11 octobre 1984, décision n°84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 37). Le champ d’application de cet article est large et concerne la presse écrite, mais également la communication audio-visuelle ou les nouvelles formes de communication électronique. Cependant, l’application de cette disposition varie en fonction du média visé. La presse écrite jouit d’une liberté pleine et entière dont l’exercice n’est limité qu’en cas d’abus. Le Conseil constitutionnel constitutionnalise la possibilité de publier un journal sans autorisation (CC, 11 octobre 1984, décision n°84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 81.). Les médias audiovisuels sont soumis à une autorisation d’émettre mais « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (CC, 10 juin 2009, décision n°2009-580 DC, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, cons. 15. ). La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est la base légale de possibles restrictions apportées à l’exercice de la liberté de communication : le chapitre IV porte sur les « crimes et délits commis par voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». La liberté de la communication doit être conciliée avec deux objectifs de valeur constitutionnelle : le respect de la liberté d’autrui et l’ordre public (CC, 27 juillet 1982, décision n°82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle, cons. 5 : « Considérant qu’ainsi il appartient au législateur de concilier, en l’état actuel des techniques et de leur maîtrise, l’exercice de la liberté de communication telle qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration […] avec […] les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels […] ».).

Article 12 : Nécessité de la force publique

« La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Cette disposition n’est pas utilisée par le Conseil constitutionnel. Elle indique la nécessité de la force publique pour garantir les droits de l’homme. Il est possible d’en déduire qu’il s’agit d’un instrument qui permet l’application des autres dispositions de la Déclaration. La garantie des droits et l’éventuelle sanction de leur non-respect sont les fondements de l’État de droit. Le juge est l’autorité qui garantit ce respect et la force publique peut être demandée afin de faire exécuter les décisions de justice. L’article 12 se lit en parallèle avec l’article 16 qui conditionne la Constitution à la garantie des droits et au principe de séparation des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel juge que les mesures d’exécution forcée prévues par une loi ne sont mises en œuvre qu’en cas de nécessité et que l’emploi de la force publique doit être proportionné à la menace de l’ordre public (CC, 9 janvier 1980, décision n°79-109 DC, Loi relative à la prévention de l’immigration clandestine, cons. 5 ; CC, 19 janvier 1981, décision n°80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 59.). Par ailleurs, la délégation à une personne privée « des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique » dans le cadre de vidéosurveillances effectuée par des opérateurs privés est contraire à la Constitution (CC, 10 mars 2011, décision n°2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 19 : »[…] en confiant à des opérateurs privés le soin d’exploiter des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique et de visionner des images pour le compte de personnes publiques, les dispositions contestées permettent d’investir des personnes privées de missions de surveillance générale de la voie publique ; chacune de ces dispositions rend ainsi possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la ‘force publique’ nécessaire à la garantie des droits ». ).

Article 13 : Egalité devant les charges publiques

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

La « contribution » désigne ici l’impôt et sert à couvrir les charges traditionnelles de l’État : police, justice, diplomatie, guerre. Le Conseil constitutionnel conclut que ces activités régaliennes ne peuvent pas être financées par des revenus d’origine privée (CC, 10 mars 20211, décision n°2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 66 : « […] les fonds de concours sont constitués notamment par des ‘fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques pour concourir à des dépenses d’intérêt public’ ; que les modalités de l’exercice des missions de police judiciaire ne sauraient toutefois être soumises à la volonté de personnes privées ; que, par suite, en créant un fonds de soutien à la police technique et scientifique et en lui affectant des contributions versées par les assureurs, l’article 10 méconnaît les exigences constitutionnelles résultant des articles 12 et 13 de la Déclaration de 1789 ».). L’article 13 impose une égalité entre les citoyens, mais pas l’identité de traitement en soulignant la possibilité d’un traitement en fonction de « leurs facultés » : une répartition équitable plutôt qu’égale des charges publiques. L’égalité devant la loi fiscale est en ce sens différente du principe général d’égalité devant la loi. Le principe d’égalité devant les charges publiques signifie que l’impôt sur le revenu doit être progressif sans pour autant indiquer un seuil de progressivité. Le Conseil constitutionnel contrôle le principe d’égalité devant les charges publiques, mais reconnaît en même temps l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale résultant de l’article 13 (CC, 29 décembre 1983, décision n°83-164 DC, Loi de finances pour 1984, cons. 27 : « Considérant qu’il découle nécessairement de ces dispositions ayant force constitutionnelle que l’exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni entraver la légitime répression […] ». ). Le champ d’application de cette disposition est étendu au-delà du domaine fiscal. Ainsi, dans les cas d’indemnisations de préjudices ou de sujétions. L’égalité devant les charges publiques ouvre la voie à l’engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment de l’État (Tribunal des conflits, 8 février 1873, Blanco, Rec., 1er supp., p. 61. ). C’est également sur ce fondement que le juge administratif indemnise le préjudice subi du fait d’une loi dans le cadre du régime de responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques (CE, Ass., 14 janvier 1938, La Fleurette, Rec., p. 25. ). Le Conseil constitutionnel reconnaît que la loi peut causer un préjudice qu’il convient d’indemniser (CC, 18 janvier 1985, décision n°84-182 DC, Loi relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’entreprise, cons. 10, admet le principe, mais considère qu’en l’espèce le préjudice « ne présente qu’un caractère éventuel ».). L’indemnisation des sujétions imposées par la loi est comparable à celui exercé dans l’hypothèse d’une loi causant un préjudice résultant de la rupture d’égalité devant les charges publiques : si le législateur fait peser des charges particulières sur un groupe de personnes afin d’améliorer la situation d’autres catégories de personnes ou de tous, l’intensité de la rupture d’égalité ne doit pas être trop élevée, ce qui est examiné par le Conseil dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité des mesures législatives (CC, 30 décembre 1987, décision n°87-237 DC, Loi de finances pour 1988, cons. 21 et 22: « Considérant que les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques proclamés […] dans ses articles 6 et 13, s’appliquent aussi bien dans l’hypothèse où la loi prévoit l’octroi de prestations que dans les cas où elle impose des sujétions ; Considérant qu’il incombe au législateur, lorsqu’il met en œuvre le principe de solidarité nationale de veiller à c que la diversité des régimes d’indemnisation institués par lui n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité de tous devant les charges publiques ».).

Article 14 : Nécessité de l’impôt

« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Dans les décisions du Conseil constitutionnel, les références à l’article 14 sont sporadiques. La nécessité de l’impôt est déduite de l’article 13 de la Déclaration et le Conseil semble appliquer l’article 14 dans les hypothèses de contrôle des impôts affectés au budget général, celui de l’État, mais également au budget des collectivités territoriales, le plus souvent dans le cadre d’examen de lois de finances (CC, 25 juillet 2001, décision n°2001-448 DC, Loi organique relative aux lois de finances, cons. 3 : « Considérant […] que l’examen des lois de finances constitue le cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par cet article de la Déclaration ».). Cette disposition permet au législateur de contrôler l’usage fait par le pouvoir exécutif des impôts, mais intervient également dans le contrôle de la clarté de la loi fiscale. Le Conseil constitutionnel juge qu’une loi fiscale formulée de manière complexe constitue une violation de l’article 14 (CC, 29 décembre 2005, décision n°2005-530 DC, Loi de finances pour 2006, cons. 78 : « Considérant qu’en matière fiscale, la loi, lorsqu’elle atteint un niveau de complexité tel qu’elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l’article 14 de la Déclaration de 1789 ».). Il convient de relever ici que l’article 14 ne fait pas partie des droits et libertés garantis par la Constitution et ne peut dès lors être invoqué dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori et faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité en vertu de l’article 61-1 C (CC, 18 juin 2010, décision n°2010-5 QPC, SNC Kimberly Clark, cons. 4 : « […] que les dispositions de l’article 14 de la Déclaration de 1789 sont mises en œuvre par l’article 34 de la Constitution et n’instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » ;).

Article 15 : Responsabilité des administrateurs

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

De manière comparable à l’article 14, l’article 15 ne garantit aucun droit ou liberté garanti par la Constitution. Il est rarement invoqué dans les décisions du Conseil constitutionnel. Toutefois, ensemble avec les articles 12 et 16, le Conseil y voit un objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice (CC, 10 décembre 2010, décision n°2010-77 QPC, Barta Z., cons.3 : « Considérant […] que la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice qui découle des articles 12,15 et 16 de la Déclaration […] ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité […] ».). Cet objectif de valeur constitutionnelle peut justifier la compétence du législateur pour limiter la portée de certains droits et libertés, mais n’est pas invocable par un justiciable. Le bon fonctionnement de la justice est une garantie de l’État de droit et pour le justiciable la mauvaise administration de la justice doit être entendue non pas comme une atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle mais comme une violation du droit au recours juridictionnel effectif, des droits de défense ou du droit à un procès juste et équitable garantis par l’article 16.

Article 16 : Principe de séparation des pouvoirs

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

L’article 16 a une portée très large et garantit de manière générale les droits de la Déclaration. Il se compose de deux volets : d’abord la garantie des droits puis le principe de séparation des pouvoirs. La garantie des droits englobe le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense (CC, décision n°86-224 DC ; CC, décision n°89-260 DC ; CC, décision n°93-325 DC.) et le principe du contradictoire (CC, décision n°89-268 DC ), l’indépendance et l’impartialité des juridictions (CC, décision n°80-119 DC.) ainsi que la force exécutoire des décisions de justice sans que l’article 16 soit explicitement cité par le Conseil constitutionnel.

Cette disposition apparaît de manière hésitante pour la première fois dans la jurisprudence constitutionnelle (Régis Fraisse, « L’article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés », Les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°44, 2014, pp. 9-21 s. ; François Luchaire, « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2001, p.67 s. : « Il serait plus normal de rattacher les droits de la défense à l’article 16 de la Déclaration de 1789, c’est-à-dire à la garantie des droits donc à la sécurité juridique » à propos de la qualification des droits de la défense de principes fondamentaux reconnu par les lois de la République par le Conseil sans que ce dernier précise la loi dont découlent ces principes.), en tant que garantie des droits, en 1994 (CC, 21 janvier 1994, décision n°93-335 DC, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, cons. 4 : « […] que dès lors il n’est pas porté d’atteinte substantielle au droit des intéressés d’exercer des recours ; qu’ainsi le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration […] manque en fait ».) pour ensuite acquérir un statut plénier de norme constitutionnelle de référence en 1996 : « […] il résulte de cette disposition qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteinte substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction » (CC, 9 avril 1996, décision n°96-373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83 s. en déclarant la disposition attaquée contraire à la Constitution. Le Conseil cite pour la première fois dans son intégralité l’article 16.). L’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité résultant de la révision constitution du 23 juillet 2008 le 1er mars 2010 signe une véritable expansion dans l’emploi de l’article 16. Le droit à un procès équitable a pris la forme d’un droit à une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties (CC, 23 juillet 2010, décision n°2010-15/23 QPC, Région Languedoc-Roussillon et autres, cons. 4.). Les principes d’indépendance et d’impartialité déduits de l’article 16 s’appliquent désormais aux autorités administratives indépendantes, ce qui impose une séparation fonctionnelle entre les compétences de poursuite et de jugement de ces autorités (CC, 12 octobre 2012, décision n°2012-280 QPC, Société Groupe Canal Plus et autre, cons. 16 s. ).

Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel mobilise le principe de séparation des pouvoirs (CC, 9 août 2012, décision n°2012-654 DC, Loi de finances rectificatives pour 2012 (II), cons. 81-81.) sans pour autant systématiquement le rattacher à l’article 16 ou encore en donner une définition suffisante (CC, 8 juillet 1989, décision n°89-258 DC, Loi portant amnistie, cons. 8 se contente de mentionner le principe de séparation des pouvoirs sans davantage d’explications : « […] la dérogation ainsi apportée au principe de séparation des pouvoirs trouve son fondement dans les dispositions de l’article 34 de la Constitution […] ». Critique sur la jurisprudence du Conseil : Patrick Wachsmann, « La séparation des pouvoirs contre les libertés », AJDA, 2009, p. 617 s. et Olivier Beaud, « Le Conseil constitutionnel et le traitement du président de la République : une hérésie constitutionnelle », Jus Politicum, 2013. V. également Michel Troper, « La séparation des pouvoirs », in Philippe Raynaud, Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie juridique, PUF, 1996, p. 709 s. ). Dans certaines hypothèses, le principe revêt une forme particulière, celle de la « conception française de la séparation des pouvoirs » qui marque la distinction entre les autorités judiciaires et administratives. La base textuelle de cette séparation n’est cependant pas l’article 16, mais la loi des 16-24 août 1790 qui a été adoptée sous la période monarchique, ce qui interdit au Conseil constitutionnel de l’ériger au rang d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. En revanche, la spécificité de la juridiction administrative résultant de la loi du 18 mai 1872, une loi républicaine, est reconnu en tant que principe constitutionnel (CC, 23 janvier 1987, décision n°86-224 DC, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, cons. 15, sans faire référence à l’article 16.).

Article 17 Protection de la propriété privée

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

C’est en 1982 que le Conseil constitutionnel déclare que le droit de propriété a « pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de puissance publique » (CC, 16 janvier 1982, décision n°81-132 DC, Loi de nationalisation, cons. 16. ).  Cette disposition s’applique tant à la propriété privée que publique, même si une différence de traitement existe (CC, 24 juillet 2008, décision n°2008-567 DC, Loi relative aux contrats de partenariat, cons. 25. : « […] la protection du droit de propriété, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l’État et des autres personnes publiques, résultent respectivement, d’une part, des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et, d’autre part, de ses articles 2 et 17 ; que ces principes font obstacle à ce que des biens faisant partie du patrimoine de personnes publiques puissent être aliénés ou durablement grevés de droits au profit de personnes poursuivant des fins d’intérêt privé sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine ».). Cependant, le droit de propriété n’est pas absolu et peut être soumis à des autorisations préalables (CC, 26 juillet 1984, décision n°84-172 DC, Loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage, cons. 3 s. : « […] en principe, l’exploitation d’un bien, il peut, dans certains cas, entraîner indirectement des limitations à l’exercice du droit de propriété, notamment en empêchant un propriétaire d’exploiter lui-même un bien qu’il a acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu’un propriétaire puisse aliéner un bien qu’il a acquis ou en faisant pratiquement obstacle à ce qu’un propriétaire puisse aliéner un bien, faute pour l’acquéreur éventuel d’avoir obtenu l’autorisation d’exploiter ce bien ».).

La loi est le seul instrument qui permette de priver une personne publique ou privée de sa propriété (En vertu de l’article 34 C, « la loi détermine les principes fondamentaux […] du régime de la propriété ». ). La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure, très encadrée par le Code de l’expropriation, est l’exemple le plus courant d’une privation de propriété. Elle est soumise à des conditions strictes et comporte deux phases : administrative et judiciaire. L’État détient un monopole en la matière. Le bénéficiaire de l’expropriation peut être une personne publique ou une personne privée et l’exproprié peut également être une personne publique, à l’exception de l’État, ou une personne privée. Tandis que l’article 17 mentionne la « nécessité », l’article 1er du Code de l’expropriation permet d’exproprier si un motif d’«utilité publique » (CC, 25 juillet 1989, décision n°89-256 DC, Loi portant dispositions diverses en matière d’urbanisme et d’agglomérations nouvelles, cons. 19. ) est constaté. À la phase administrative dont la pièce maîtresse est la déclaration d’utilité publique succède la phrase judiciaire. Le juge judiciaire, en tant que gardien de la liberté individuelle en vertu de l’article 66 C, garantit que l’indemnité fixée au préalable est juste (CC, 17 septembre 2010, décision n°2010-26 QPC, SARL L’Office central d’accession au logement, cons. 6 : « […] pour être juste, l’indemnisation doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation ».) et, en cas de désaccord entre l’expropriant et l’exproprié, un accord à l’amiable peut être trouvé et validé par le juge.

2) La Constitution du 3 septembre 1791

Bibliographie : F. Burdeau et M. Morabito, « Les expériences étrangères et la première constitution française », Pouvoirs, n° 50, 1989

a) La forme du gouvernement

Les trois « pouvoirs » exécutif, législatif et judiciaire sont séparés. Les constituants de 1791 n’ont pas créé de régime parlementaire à l’anglaise, mais un régime de stricte séparation des pouvoirs.

Le législatif. La fonction législative est attribuée à une assemblée unique (système monocaméral).

Titre III Des Pouvoirs publics > Chapitre I De l’Assemblée nationale législative

« Article 1. − L’Assemblée nationale formant le corps législatif est permanente, et n’est composée que d’une Chambre ».

Article 5. − Le Corps législatif ne pourra être dissous par le roi ».

L’exécutif.

« Article 1. − Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres.

Article 2. − Les membres de l’Assemblée nationale actuelle et des législatures suivantes, les membres du Tribunal de cassation, et ceux qui serviront dans le haut−juré, ne pourront être promus au ministère, ni recevoir aucunes places, dons, pensions, traitements, ou commissions du Pouvoir exécutif ou de ses agents, pendant la durée de leurs fonctions, ni pendant deux ans après en avoir cessé l’exercice. − Il en sera de même de ceux qui seront seulement inscrits sur la liste du haut−juré, pendant tout le temps que durera leur inscription …

Article 5. – Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la Constitution ; – De tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle ; – De toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département ».

Les rapports entre les pouvoirs publics

L’indépendance du législatif est évidente.

Chapitre III section I :

Article 1. – La Constitution délègue exclusivement au Corps législatif les pouvoirs et fonctions ci-après :

1° De proposer et décréter les lois : le roi peut seulement inviter le Corps législatif à prendre un objet en considération ;

Mais le Roi dispose d’un droit de veto

Section III. − De la sanction royale.

Article 1. − Les décrets du Corps législatif sont présentés au roi, qui peut leur refuser son consentement.

Article 2. − Dans le cas où le roi refuse son consentement, ce refus n’est que suspensif. − Lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret, auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes, le roi sera censé avoir donné la sanction.

Article 3. − Le consentement du roi est exprimé sur chaque décret par cette formule signée du roi : Le roi consent et fera exécuter. − Le refus suspensif est exprimé par celle−ci : Le roi examinera.

b) Le suffrage

Dans la Constitution de 1791, le suffrage n’est pas universel, mais censitaire.

Le suffrage censitaire n’est pas envisagé comme une restriction de la démocratie ; c’est une mise en œuvre de la théorie de l’électorat-fonction.

Comp. par exemple avec : LF, article 20

Article 20

[Fondements de l’ordre étatique, droit de résistance]

(1) La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique

et social.

(2) Tout pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

§2. La Convention nationale et la Terreur

Aussitôt la royauté abolie, le 22 septembre 1792 commence la Ière République. La Convention nationale décrète que le calendrier républicain commencera le 22 septembre 1792. Le 25 septembre 1792 la Convention décrète que « la République est une et indivisible ».

Après que Louis XVI eut été condamné à mort et exécuté (21 janvier 1793), et alors que les ennemis de la Révolution menacent militairement la France (coalition militaire du Saint-Empire, de l’Autriche-Hongrie, de l’Angleterre puis de l’Espagne et du Portugal) la réforme constitutionnelle n’est pas au cœur des préoccupations. La France vit depuis la suspension de Louis XVI le 10 août 1792, sans constitution. C’est la Convention nationale qui gouverne, à travers des comités exécutifs dont un, le fameux Comité de Salut Public dirigé par Robespierre, fera régner la Terreur [1].

Après un premier projet qui n’aboutira pas, la Convention nationale adopte la Constitution du 24 juin 1793 après seulement sept jours de débats. Le texte est radical dans son inspiration comme dans ses termes [2]. Le projet, contrairement à la Déclaration des droits de l’homme et à la Constitution de 1791, est résolument social. Il est précédé d’un préambule qui remplace la Déclaration de 1789 et qui s’ouvre par ces mots « Le but de la société est le bonheur commun ». On le comprend l’inspiration du texte laisse moins de place à la liberté individuelle.

Sur le plan politique, si 1789 est la victoire de Montesquieu, 1793 est la victoire de Rousseau. La souveraineté résidant dans le peuple (Préambule art. 25, Constitution art. 2) il doit l’exprimer de la manière la plus médiate possible. La Constitution du 24 juin 1793 organise un système de suffrage universel (masculin) direct pour l’élection des députés membres d’un parlement monocaméral composé d’une Assemblée nationale. Le mandat est d’un an. La loi votée par l’Assemblée nationale doit être soumise au peuple pour validation. Un invraisemblable système est prévu pour envoyer les lois votées dans les cantons. L’exécutif est exercé par un Conseil exécutif de vingt-quatre membres (article 62 C), renouvelé par moitié à chaque législature.

Le caractère inapplicable de cette Constitution ne sera jamais démontré par l’exemple car elle ne sera jamais appliquée, emportée par la Terreur. La seule trace de la Constitution de 1793 se trouve dans quelques rares jugements de tribunaux civils qui en ont appliqué les dispositions relatives à l’acquisition de la nationalité dans des affaires de reconnaissance de la citoyenneté française [3].

[1] « Terreur » est le nom qui a été donné à cette période historique qui commence selon les historiens en septembre 1792 ou mars 1793 et s’achève avec la chute de Robespiere le 28 juillet 1794. Le bilan humain serait d’environ 40.000 victimes condamnées à mort après ou sans jugement, auxquels s’ajoutent les victimes de massacres ou de guerre

[2] Daniel Amson, Histoire constitutionnelle française. De la prise de la Bastille à Waterloo. Paris, LGDJ, 2010, p. 167.

[3] L’article 4 de la Constitution du 24 juin 1793 dispose : « Article 4. – Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ». Cet article est l’expression paroxystique de la conception française subjective de la nationalité.

§3. Le Directoire

Toute Révolution appelle une contre-Révolution. Tout excès appelle un apaisement. C’est cet apaisement que doit apporter, sur le plan constitutionnel, la Constitution du 22 août 1795 (5 Fructidor An III). Cette constitution est précédée d’une Déclaration des droits et des devoirs du citoyen. On peut y voir la volonté de revenir à un ordre bourgeois et raisonnable. On y lit à l’article 4 que « Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux ».

L’organisation constitutionnelle prévue par cette constitution, que l’on appellera « Directoire » du nom de l’organe exécutif, est profondément marquée de cette volonté d’assurer l’ordre et la raison.

Les membres du Parlement (Corps législatif) sont élus au suffrage censitaire. Le Corps législatif est composé de deux chambres : le Conseil des Cinq-cents, qui propose les lois, et le Conseil des Anciens qui adopte la loi. L’accès au Conseil des Cinq-cents est réservé aux hommes de plus de trente ans. Le Conseil des Anciens est composé de deux-cents cinquante membres âgés de plus de quarante ans, mariés ou veufs. La conjonction du suffrage censitaire et de ces conditions d’accès marque bien la volonté d’assurer une gestion raisonnable et de consolider la représentation politique de la classe possédante.

Notons que pour la première fois le Parlement sera bicaméral. Le Conseil des Anciens représente le modèle de la chambre haute, qui assurera et assure encore aujourd’hui, à l’image du Sénat de la Vème République, un rôle de modération.

 L’exécutif est confié à un Directoire de cinq membres, nommés par le Corps législatif (article 132). La liste des membres est proposée par le Conseil des Cinq-cents. Les directeurs sont choisis au scrutin secret par le Conseil des Anciens. Les membres du Directoire ne sont pas rééligibles. L’exécutif n’a aucune participation au législatif : il n’a ni initiative, ni droit de véto.

Les historiens imputent l’instabilité de ce régime (cinq coups d’Etat en cinq ans) à des facteurs politiques plus qu’à une malfaçon du système constitutionnel. Les Conventionnels (membres de la Convention), qui composent la majorité des assemblées et tiennent le Directoire, font en sorte de conserver le pouvoir qui éviter deux périls : les monarchistes et la Gauche révolutionnaire. Le Directoire disparaît avec le coup d’Etat du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), fomenté par le général Bonaparte. A cette occasion le futur empereur aura cette phrase célèbre : « Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie. »

§4. Le Consulat et l’Empire

Napoléon Bonaparte n’appartient pas qu’à l’histoire de France : il a marqué l’histoire universelle, en bien comme en mal. Nous n’évoquerons pas son génie militaire, ni les aspects sombres des interminables guerres dans lesquelles il a plongé l’Europe. Son œuvre d’administrateur et de légiste est tout aussi fulgurante et pérenne que sa gloire militaire. Napoléon a donné à la France une partie de ses institutions actuelles : le Cadastre, les Préfets, le Conseil d’Etat. C’est sous son règne qu’ont été publiés le Code civil (1804), le Code de procédure civile (1806), le Code de commerce (1807), le Code d’instruction criminelle (1808) et le Code pénal (1810).

Sur le plan constitutionnel, Napoléon Bonaparte est connu pour avoir été le premier Empereur des français (le second et dernier sera son neveu, Louis Napoléon Bonaparte, sous le nom de Napoléon III).

L’Empire a été établi progressivement, en partant du Consulat porté par la Constitution du 13 décembre 1799 (22 Frimaire an VIII). La Constitution du Consulat est rédigée pour donner les apparences de la démocratie, à travers d’institutions mises au service d’un seul.

La Constitution du 13 décembre 1799 définit la forme du régime comme une république (art. 1). Elle prévoit un exécutif composé de trois Consuls nommés pour dix ans ; mais seul le Premier Consul (Napoléon Bonaparte désigné par l’article 39) a des pouvoirs effectifs. L’exécutif a l’initiative des lois. Les lois sont discutées par un Tribunat et votées sans discussion par le Corps législatif. Un Sénat conservateur est chargé de pourvoir aux nominations les plus importantes aux fonctions de l’Etat et de contrôle le respect de la Constitution.

Des institutions créées par cette constitution, une seule a survécu et traversé les âges : le Conseil d’Etat, créé par l’article 52, qui « est chargé de rédiger les projets de lois et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». Si le Conseil d’Etat n’est plus aujourd’hui chargé de rédiger les projets de lois, tous les projets lui sont soumis. Il est encore le conseiller juridique du gouvernement ; il assure par ailleurs les fonctions de juridiction suprême de l’ordre administratif.

Un ‘sénatus-consulte’ du 2 août 1802 fait de Napoléon Bonaparte le Premier Consul à vie ; le 4 août 1802 (16 Thermidor an X) un autre acte renforcer ses pouvoirs du Premier Consul ; un sénatus-consulte du 18 mai 1804 (28 floréal an XII) déclare que le gouvernement de la République est confié à un Empereur.

Ce qu’il faut retenir de ce court exposé est la « recette » du césarisme napoléonien. Elle s’appuiera sur les apparences de la démocratie grâce à des plébiscites qui valideront, à travers un large vote populaire, chaque étape de l’accession de Napoléon Ier à la charge impériale.

Les structures du Consulat

Le Sénat conservateur

Article 19. – Toutes les listes faites dans les départements en vertu de l’article 9, sont adressées au Sénat : elles composent la liste nationale.

Article 20. – Il élit dans cette liste les législateurs, les tribuns, les consuls, les juges de cassation, et les commissaires à la comptabilité.

Article 21. – Il maintient ou annule tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels par le Tribunat ou par le gouvernement : les listes d’éligibles sont comprises parmi ces actes.

Le Tribunat

Article 28. – Le Tribunat discute les projets de loi ; il en vote l’adoption ou le rejet. – Il envoie trois orateurs pris dans son sein, par lesquels les motifs du voeu qu’il a exprimé sur chacun de ces projets sont exposés et défendus devant le Corps législatif. – Il défère au Sénat, pour cause d’inconstitutionnalité seulement, les listes d’éligibles, les actes du Corps législatif et ceux du gouvernement.

Le Corps législatif

Article 34. – Le Corps législatif fait la loi en statuant par scrutin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres, sur les projets de loi débattus devant lui par les orateurs du Tribunat et du gouvernement.

Le Conseil d’Etat

Article 52. – Sous la direction des consuls, un Conseil d’Etat est chargé de rédiger les projets de lois et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative.

Les consuls

Ils sont au nombre de trois, nommés pour 10 ans.

Premier consul : Bonaparte ; Deuxième consul : Cambacérès ; Troisième consul : Lebrun

 Article 41. – Le Premier consul promulgue les lois ; il nomme et révoque à volonté les membres du Conseil d’Etat, les ministres, les ambassadeurs et autres agents extérieurs en chef, les officiers de l’armée de terre et de mer, les membres des administrations locales et les commissaires du gouvernement près les tribunaux. Il nomme tous les juges criminels et civils autres que les juges de paix et les juges de cassation, sans pouvoir les révoquer.

 Article 44. – Le gouvernement propose les lois, et fait les règlements nécessaires pour assurer leur exécution.

 Article 45. – Le gouvernement dirige les recettes et les dépenses de l’Etat, conformément à la loi annuelle qui détermine le montant des unes et des autres ; il surveille la fabrication des monnaies, dont la loi seule ordonne l’émission, fixe le titre, le poids et le type.

 Article 46. – Si le gouvernement est informé qu’il se trame quelque conspiration contre l’Etat, il peut décerner des mandats d’amener et des mandats d’arrêt contre les personnes qui en sont présumées les auteurs ou les complices ; mais si, dans un délai de dix jours après leur arrestation, elles ne sont mises en liberté ou en réglée, il y a, de la part du ministre signataire du mandat, crime de détention arbitraire.

 Article 47. – Le gouvernement pourvoit à la sûreté intérieure et à la défense extérieure de l’Etat ; il distribue les forces de terre et de mer, et en règle la direction.

Article 48. – La garde nationale en activité est soumise aux règlements d’administration publique ; la garde nationale sédentaire n’est soumise qu’à la loi.

Article 49. – Le gouvernement entretient des relations politiques au-dehors, conduit les négociations, fait les stipulations préliminaires, signe, fait signer et conclut tous les traités de paix, d’alliance, de trêve, de neutralité, de commerce, et autres conventions.