Le Président de la République est probablement la figure la plus connue du système constitutionnel et politique français. Nous dirons dès maintenant qu’à titre personnel, nous sommes favorable à une réforme de l’institution. Ce point de vue influencera probablement notre manière de présenter les choses. Les données juridiques et historiques seront toujours présentées avec objectivité.

Le Président de la République de la Vème République a été conçu comme « l’arbitre et le gardien » de la Constitution. Ces termes, classiques, ne rendent compte que très mal du rôle du Président de la République. En tant qu’arbitre, il se placerait en dehors ou au-dessus du jeu (selon que l’on retient une image issue du football ou du tennis) : ce n’est que très partiellement vrai voire largement faux. En tant que gardien de la Constitution il le protègerait contre les agressions extérieures et les périls intérieurs : cela a été vrai tant que le Président de la République ne mettait pas son empreinte sur l’action quotidienne du gouvernement. Mais désormais, le Président de la République se place au-dessus et au centre des institutions. Il bénéficie d’une irresponsabilité politique et pénale que ne justifie plus son rôle actif dans le fonctionnement des institutions. L’élection du Président de la République au suffrage universel direct lui donne une place centrale dans les institutions (1). Ses différentes fonctions sont à la mesure de ce rôle central (2).

§1) L’élection du Président de la République

L’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que « Le Président de la République [était] élu pour sept ans par un collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des Territoires d’Outre-Mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux ». Cette élection au suffrage universel indirect reposait donc sur un très large collège électoral d’environ 80.000 élus. Cette base électorale était bien plus large que celle des présidents de la République des IIIème et IV République élus par le Parlement. Cette base élargie accompagne l’accroissement des compétences et du rôle symbolique voulu par le Général de Gaulle. Elle n’était pas suffisante à ses yeux c’est pourquoi il a souhaité que le Président de la République soit élu au suffrage universel direct. Le chef de l’Etat a eu recours à une loi référendaire de l’article 11 C. dont on a vu par ailleurs les questions constitutionnelles qu’elle pose. La loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel modifie l’article 6 C. qui disposait que « Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct […] ». L’article 7 C prévoit que le Président est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés à deux tours de scrutin. Si le Président n’est pas désigné au premier tour (ce qui n’est jamais arrivé), les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix se présentent au second tour. La loi constitutionnelle n° 62-1292 porte elle-même loi organique relative à l’élection du Président de la République en ses articles 3 et 4.

C’est à l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, modifiée, que sont précisées les conditions de présentation des candidatures. Une sorte de « filtre » est prévu pour éviter les candidatures fantaisistes.  La liste des candidats est établie par le Conseil constitutionnel au vu de présentations adressées par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement et des assemblées des collectivités locales. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou d’une même collectivité d’outre-mer.

La seconde évolution de l’élection du Président de la République tient à la durée de son mandat. Il était initialement fixé à sept ans, héritage de la loi du 20 novembre 1873 dite « loi du septennat » qui avait fixé à cette durée le mandat du Président de la République en attendant un retour au régime monarchique . Cette durée posait on le sait des difficultés car le mandat des députés est de cinq ans. La différence de durée a créé des périodes dites de « cohabitation ». Le renouvellement de l’Assemblée nationale la même année que l’élection du Président de la République faisait courir le risque que de nouvelles élections législatives amènent au pouvoir un Parlement et donc un Gouvernement d’opposition au Président de la République. L’équilibre institutionnel imaginé par le Général de Gaulle est alors rompu : le Président de la République devient l’opposant du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée nationale.

Ce risque s’est réalisé en 1986 lorsque l’Assemblée nationale à majorité de droite a amené au pouvoir le gouvernement dirigé par Jacques Chirac (1986-1988), opposé au Président de la République François Mitterrand (1981-1995). C’était la première cohabitation. Une seconde cohabitation a eu lieu lorsque l’Assemblée nationale a basculé à droite après cinq années à majorité socialiste, et porté au pouvoir Edouard Balladur (1993-1995), opposant au même François Mitterrand. Une troisième cohabitation a opposé Jacques Chirac devenu Président de la République (1995-2007) à Lionel Jospin Premier ministre d’une majorité de gauche (1997-2002).

C’est l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing, devenu député, qui a déposé le projet de loi constitutionnelle qui sera soumise à référendum en application de l’article 89 C. et deviendra la loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre 2000 modifiant l’article 6 C.

Cette réduction de la durée du mandat a renforcé la mainmise du Président de la République sur les institutions, en faisant de l’élection législative un simple accessoire de l’élection présidentielle. L’enjeu électoral national est désormais tout entier organisé autour de l’élection présidentielle. La troisième réforme de l’article 6 C., portée par la n° 2008-724 du 23 juillet 2008, a ajouté à cet article 6 un alinéa 2 qui dispose que « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».

§2) Les fonctions du Président de la République

Le Président de la République est le chef de l’Etat : à ce titre il exerce les fonctions de souveraineté (a). Arbitre et gardien de la Constitution, il intervient dans le fonctionnement des institutions (b). Une part de la fonction administrative lui est également confiée, rarement sans l’intervention du Premier ministre (c) sauf dans son « domaine réservé » (d).

A./ Le Président de la République, chef de l’Etat

Le Président de la République assure les fonctions de souveraineté de l’Etat dans l’ordre international et dans l’ordre interne.

Sur le plan international, il exerce la fonction diplomatique en accréditant les ambassadeurs (art. 14 C.) En application de l’article 52 C. il négocie et ratifie les traités sous réserve de la compétence du Parlement qui adopte des lois de ratification pour les traités les plus importants (art. 53 C.). Toujours sur le plan international, c’est au Président de la République que revient la décision d’engager les forces armées dont il est le « chef » en vertu de l’article 15 C.

Sur le plan intérieur, le Président de la République exerce des fonctions héritées de la IIIème République, qui portent elles-mêmes la trace du passé monarchique de la France. Il en va ainsi du droit de faire grâce à titre individuel, qui lui est accordé par l’article 17 C. Le droit de grâce, assez fréquemment utilisé à l’époque où la peine de mort était appliquée, n’est plus guère usité depuis l’abolition de la peine de mort en 1981 [1] puis son inscription à l’article 66-1 de la Constitution [2]. La pratique s’était développée sous la Vème République de faire voter des lois d’amnistie[3]  collective après une élection présidentielle, ce qui aboutissait par exemple à amnistier des millions de petits délits routiers, dans un mouvement de grâce et de concorde nationale digne de l’Ancien régime. Cette pratique a heureusement été abandonnée en 2007 par Nicolas Sarkozy.

B./ L’arbitre et le gardien de la Constitution

L’article 5 C. Le Président de la République est l’arbitre et le gardien de la Constitution. Le Titre II de la Constitution, intitulé « Le Président de la République », s’ouvre sur l’article 5 qui dispose que Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». Cette introduction solennelle dresse le portrait (la statue) de l’homme providentiel sur les épaules duquel reposent l’équilibre du temps institutionnel.

L’article 10 C. Le rôle institutionnel du président de la République se retrouve à l’article 10 C. qui dispose que le Président de la république promulgue les lois (en d’autres termes il en ordonne la publication par décret). Il lui est loisible, aux termes de l’article 10 alinéa 2 C., de demander au Parlement une nouvelle délibération d’une loi votée ou de certains de ses articles. Cette possibilité, qui n’est pas un droit de véto, est très rarement utilisée [4]. Par ailleurs aucun Président de la République, sous la Vème République ou sous les précédentes, ne s’est permis de ne pas promulguer une loi.

L’article 12 C. Le rôle d’arbitrage du Président de la République se retrouve avec le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale qui lui est conféré par l’article 12 C. Ce pouvoir de dissolution a été utilisé de deux manières sous la Vème République. Son usage s’est tari car les deux raisons principales de son emploi ont disparu. En premier lieu l’article 12 a été utilisé lorsque le Président de la République faisait face à un conflit politique ou social. Ce fut le cas à deux reprises sous la présidence du Général de Gaulle. D’abord en 1962, lorsque le Président de la République a recouru à l’article 11 pour modifier la Constitution et introduire le régime de l’élection du Président au suffrage universel direct, le Gouvernement a été renversé par une motion de censure. Après que le Général de Gaulle ait dissout l’Assemblée nationale, les nouvelles élections législatives lui ont donné une majorité parlementaire renforcée et le référendum de l’article 11 a été victorieux. Le Général de Gaulle a également dissout l’Assemblée nationale le 30 mai 1968 suite aux événements de mai 68. Là encore il a été doté d’une majorité parlementaire renforcée. La seconde hypothèse de recours à l’article 12 C. est une question de calendrier des élections. Depuis 1873 et jusqu’en 2002, le Président de la République était élu pour sept ans. En revanche les députés sont élus, sous la Vème République, pour un mandat de cinq ans. Or un Président de la République nouvellement élu veut pouvoir s’appuyer sur une majorité parlementaire. C’est pourquoi François Mitterrand, élu Président de la République en 1981 et 1988 a, par deux fois, prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Il a enfin été procédé à une dernière dissolution, le 21 avril 1997. Jacques Chirac, qui n’avait pas dissout l’Assemblée nationale en 1995 suite à son élection, a décidé de la dissoudre en 1997 pour s’assurer une majorité jusqu’à la fin de son mandat. Les élections législatives qui ont suivi ont vu la défaite de son parti et la victoire d’une coalition de partis de gauche, dirigée par le Premier ministre Lionel Jospin.

L’article 16 C. L’article 16 de la Constitution est, en dehors du pouvoir non-conditionné attribué au Président de la République de recourir à l’arme nucléaire, « l’arme institutionnelle » la plus considérable. Elle lui permet de réunir en ses mains le pouvoir exécutif normalement dévolu au Gouvernement et le pouvoir législatif. Le texte n’indique pas exactement de quels pouvoirs dispose exactement le Président de la République en pareille hypothèse et l’article 16 C. indique que « le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances ». Les hypothèses du recours à l’article 16 C. sont établies de manière très large et volontairement imprécises : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu […] ».

Il n’a été recouru qu’une fois à l’article 16 C. Le Général de Gaulle, devant la menace d’un coup d’Etat militaire opéré par une fraction de l’armée française opposée à l’indépendance de l’Algérie, a eu recours à l’article 16 par une décision du 23 avril 1961. L’article 16 fut maintenu en vigueur jusqu’au 29 septembre 1961. Le Conseil constitutionnel a été consulté, comme le prévoit l’article 16 al. 1. C [5] et a reconnu la nécessité du recours à l’article 16. Le Conseil d’Etat, saisi d’un recours contre la décision d’instaurer un tribunal militaire d’exception, a considéré que le recours à l’article 16 C. était un « acte de gouvernement » mais n’a pas exclu l’hypothèse de contrôler la légalité des décisions du Président de la République intervenant dans le domaine habituel du pouvoir réglementaire (article 37 C.) [6].

C./ L’exercice à titre accessoire de la fonction administrative

Le Président de la République exerce une partie de la fonction administrative. L’article 9 C. prévoit qu’il préside le conseil des ministres. Or c’est en conseil des ministres que sont délibérés les décrets importants, les projets de loi qui vont être déposés devant le Parlement ou le projets d’ordonnances de l’article 38 C. L’article 13 al. 1 C. prévoit que le Président de la République « signe les ordonnances et les décrets » délibérés en conseil des ministres. Or le présent de l’indicatif est habituellement considéré en droit français comme un impératif. Le Président de la République François Mitterrand a pourtant annoncé dans une interview accordée le 14 juillet 1986 qu’il ne signerait pas un projet d’ordonnance qui devait lui être soumis, visant à des privatisations d’entreprises publiques [7]. Le rôle normatif du Président de la République n’est pas purement symbolique.

Le Président de la République dispose en outre d’un pouvoir de nomination aux termes de l’article 13 al. 2 C. aux termes duquel « Il nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat » [8]. La réforme constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, la dernière en date et l’une des plus importantes par les changements qu’elle a apportés à la Constitution, a ajouté un alinéa 5 à l’article 13 prévoyant un mécanisme de contrôle parlementaire sur les nominations les plus importantes réalisées par le Président de la République. Ce mécanisme rappelle celui en vigueur aux Etats-Unis [9].

D./ Le « domaine réservé »

 

 

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Liste des Présidents de la République de la Vème République : Charles de Gaulle (8 janvier 1959 – 28 avril 1969). Alain Poher (28 avril 1969 – 20 juin 1969), président du Sénat, Président de la République par intérim. Georges Pompidou (20 juin 1969 – 2 avril 1974). Alain Poher (2 avril 1974 – 27 mai 1974), président du Sénat, Président de la République par intérim. Valéry Giscard d’Estaing (27 mai 1974 – 21 mai 1981). François Mitterrand (21 mai 1981 – 17 mai 1995). Jacques Chirac (17 mai 1995 – 16 mai 2007). Nicolas Sarkozy (16 mai 2007 – 15 mai 2012). François Hollande (15 mai 2012 – 14 mai 2017). Emmanuel Macron (14 mai 2017 -).

 

[1] Loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.

[2] Art. 66-1 C. : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

[3] Aux termes de l’article 133-9 du code pénal : «L’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d’une condamnation antérieure ». Aux termes de l’article 34 C., seul le législateur peut accorder une amnistie. Les lois et décrets d’amnistie n’ont pas uniquement été utilisées à des fins aussi futiles que la célébration de l’élection présidentielle. Il y a été recouru après la Guerre d’Algérie par exemple. V. Stéphane Gacon, « Les amnisties de la guerre d’Algérie (1962-1982) », Histoire de la justice, vol. 16, n° 1,‎ 2005, p. 271.

[4] D’après les auteurs du Code constitutionnel, il y a été recouru deux fois. V. Thierry S. Renoux e.a., Code constitutionnel, LexisNexis, 2019 p. 868.

[5] CC, 23 avril 1961, décision n° 61-1 AR16*, avis du 23 avril 1961.

[6] CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens.

[7] Rappelons qu’alors Jacques Chirac, leader de la droite majoritaire à l’Assemblée nationale depuis l’élection législative de juin 1986 s’opposait à François Mitterrand, Président de la République dont la majorité avait été sévèrement battue.

[8] L’alinéa 4 du même article 13 prévoit qu’une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres. C’est l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’Etat qui précise la liste des emplois pourvus par décret du Président de la République. A la liste de de l’article 13 alinéa 3 s’ajoutent, aux termes de l’article 2 de cette ordonnance organique, les membres du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes, les magistrats de l’ordre judiciaire, les professeurs de l’enseignement supérieur, les officiers des armées de terre, de mer et de l’air.

[9] La loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010, modifiée, fixe la liste des emplois soumis à ce contrôle et la loi organique n° 2010-838 établit la liste des commissions compétentes dans chaque assemblée parlementaire.