§1./ Détermination de la compétence législative

La Constitution du 4 octobre 1958 innove en créant un domaine réservé au pouvoir réglementaire. Le législateur ne peut plus intervenir dans tous les domaines : il existe une répartition des fonctions normatives entre le domaine de la loi défini à l’article 34 de la Constitution et le domaine réglementaire déterminé à l’article 37 C comme nous l’avons déjà évoqué.

Le domaine de la loi est limitativement défini. L’article 34 établit une liste de domaines d’intervention du législateur, en distinguant les domaines où le législateur interviendra intégralement et ceux dans lesquels ils ne fixera que le cadre général. Les domaines qui ne sont pas évoqués à l’article 34 C. relèvent du pouvoir réglementaire.

Pour être plus précis il existe deux types de domaines d’intervention du législateur prévus à l’article 34 : les domaines où il fixe les règles c’est-à-dire qu’il adopte l’ensemble des dispositions nécessaires, les domaines où il se contente de déterminer les principes. Font partie de la première catégorie les matières qui ont trait au statut individuel des personnes, à la protection de leur liberté individuelle et à leurs biens : droit civiques et garanties des droits fondamentaux, nationalité, état des personnes, droit pénal, impôt, élections notamment. Font partie de la deuxième catégorie l’organisation de la défense nationale, la libre administration des collectivités territoriales, l’enseignement, la préservation de l’environnement ou le droit du travail. Lorsque le législateur fixe les principes le pouvoir réglementaire est habilité à intervenir de manière plus large.

L’article 34 C. n’est pas le seul qui détermine la compétence du législateur. L’article 72 al. 3 C. établit que les collectivités territoriales s’administrent librement « dans les conditions prévues par la loi ». L’article 1 al. 2 C. dispose que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». L’article 7 de la Charte de l’environnement dispose que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement […] ». La loi est encore évoquée pour la garantie de l’expression pluraliste des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie politique de la nation (art. 4 al. 3 C ) et d’autres éléments ponctuels mais relativement nombreux du fonctionnement des institutions [1].

§2./ Garantie de la compétence législative face au pouvoir réglementaire

Les textes réglementaires intervenus dans le domaine de la loi sont illégaux et annulés par le juge administratif qui en serait saisi. Le moyen d’incompétence ratione materiae est, devant le juge administratif, un « moyen d’ordre public » c’est-à-dire qu’il doit être soulevé d’office par le juge même si aucune des parties ne l’a soulevé.

Mais en contrepartie de la protection du domaine législatif, le législateur a le devoir d’intervenir : il ne peut pas renvoyer au pouvoir réglementaire le soin d’adopter les dispositions relevant du domaine de la loi. Si le législateur abandonnait sa compétence au pouvoir réglementaire, il commettrait une « incompétence négative » [2]. La notion d’incompétence négative a été forgée par Edouard Laferrière à propos des autorités administrative [3]. L’incompétence négative signifie que le Parlement doit exercer totalement la compétence que la Constitution lui attribue sans pouvoir s’en décharger sur des organes d’application de la loi comme les autorités administratives ou juridictionnelles. Le vice d’incompétence négative est sanctionné avec constance par le Conseil constitutionnel. Ainsi le législateur ne peut pas autoriser des sociétés nationales à décider de ventes de sociétés qui relèvent du pouvoir de décision du législateur [4]. La règle de l’incompétence négative n’impose pas cependant que le législateur intervienne pour régler l’intégralité d’une question : par exemple n’est pas frappée du vice d’incompétence négative la disposition qui fixe le minimum et le maximum du taux d’un impôt [5].

§3./ Garantie de la compétence réglementaire face au pouvoir législatif

La Constitution a prévu un mécanisme de protection du pouvoir réglementaire contre les empiètements du pouvoir législatif. Cette protection intervient pendant ou après la procédure d’adoption de la loi.

Pendant la procédure d’adoption de la loi, le gouvernement peut opposer l’irrecevabilité à une proposition de loi ou à un amendement qui n’est pas du domaine de la loi ou qui est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38 de la Constitution (art. 41 al. 1 C.). L’article 41 al. 2 C. prévoit qu’en cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l’assemblée intéressée le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai de huit jours.

Après la procédure législative existe un mécanisme de « déclassement » ou « délégalisation ». Ce mécanisme est prévu à l’article 37 al. 2 C. Aux termes de la première phrase de cet alinéa, les textes de forme législative intervenus dans le domaine réglementaire avant l’entrée en vigueur de la Constitution de la Vème République peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d’Etat. Les textes de forme législative intervenus après l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 ne peuvent être modifiés que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’ils ont un caractère réglementaire. C’est cette procédure qui est appelée « déclassement ». Les décisions du Conseil constitutionnel intervenant dans ce domaine seront notées « L ».

En revanche le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas l’intervention de la loi dans le domaine du règlement. Le Conseil considère que « la Constitution n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l’autorité réglementaire un domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en œuvre des procédures spécifiques des articles 37, alinéa 2, et 41, le pouvoir d’en assurer la protection contre d’éventuels empiétements de la loi […] » [6].

§4./ L’hypothèse de l’habilitation donnée au gouvernement d’intervenir dans le domaine de la loi : les ordonnances de l’article 38 C.

L’article 38 C. organise une procédure permettant au Parlement d’habiliter le gouvernement à intervenir dans le domaine législatif au moyen d’ordonnances. Aux termes de l’article 38 al. 1 C. le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances pour une durée limitée des mesures relevant normalement du domaine de la loi. Une « loi d’habilitation » autorise le Gouvernement à intervenir. Les ordonnances adoptées ont valeur réglementaire jusqu’à ce qu’une loi de ratification leur confère une valeur législative (art. 38 al. 2 C.). Jusqu’à la modification de l’article 38 C. par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 les ratifications législatives pouvaient être implicites. Elles doivent désormais être expresses (art. 38 al. 2 C. in fine). La loi d’habilitation détermine deux délais : le délai d’habilitation pendant lequel le Gouvernement peut intervenir (art. 38 al. 1 et 3 C.) et le délai de caducité des ordonnances. Les ordonnances sont caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement dans le délai prévu par la loi d’habilitation (art. 38 al. 2).

Lors de l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958, un article 92 désormais abrogé prévoyait que les mesures législatives nécessaires à la mise en place des institutions seraient prises en Conseil des Ministres, après avis du Conseil d’État, par ordonnances ayant force de loi. C’est ainsi que beaucoup de lois organiques sont des « ordonnances organiques », adoptées en 1958 et 1959 pour la mise en place des institutions.

Notons que les ordonnances remplacent la technique ancienne des « décrets-lois » qui avaient, sous les IIIème et IVème Républiques, la même fonction que les ordonnances.

Le recours aux ordonnances est très fréquent. C’est en particulier par ordonnances que sont adoptés de nombreux codes nouveaux.

 

[1] La détermination des commissions parlementaires contrôlant les nominations effectuées par le Président de la République (art. 13 al. 5 C.), la composition et les règles d’organisation de la commission indépendante chargée de prononcer un avis sur les textes délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés et sénateurs (art. 25 al. 3).

[2] Georges Schmitter, « L’incompétence négative du législateur et des autorités administratives », AIJC 1989, vol. V., p. 137-177.

[3] Edouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative et du recours contentieux, Berger-Levrault, Paris, 2ème édition, 1896, tome 2 p. 519. Reprint Revue générale du droit (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=52449).

[4] CC, 16 janvier 1982, décision n° 81-132, Loi de nationalisation, cons. 40.

[5] CC, 18 juillet 2001, décision n° 2001-447, Loi relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, cons. 21.

[6] CC, 30 juillet 1982, n° 82-143 DC, Loi sur les prix et les revenus, cons. 11. Principe rappelé dans la décision CC, 15 mars 2012, décision n° 2012-649 DC, Loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, cons. 10.