Le processus législatif est lui aussi largement encadré par le Gouvernement que l’on retrouve à toutes les étapes du travail parlementaire, au niveau de l’initiative des lois (1), de la maîtrise de l’ordre du jour (2), du droit d’amendement (3), de la fixation du calendrier de procédure (4) et par l’usage de la question de confiance de l’article 49 alinéa 3 (5).

§1./ L’initiative de la loi

Le Premier ministre et les deux chambres du Parlement ont concurremment le pouvoir d’initiative de la loi (art. 39 al. 1 C.). Les lois d’initiative parlementaire sont dénommées « propositions de lois », les lois d’initiative gouvernementale sont des « projets de lois ».

L’article 39 al. 2 phr. 1 dispose que « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État et déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées ». Le rôle consultatif sur les projets de lois est la plus ancienne fonction du Conseil d’Etat qui était chargé par l’article 52 de la Constitution de 1799 (Constitution du 22 frimaire an VIII) de « rédiger les projets de lois ». Il doit être noté qu’à côté de cette consultation obligatoire du Conseil d’Etat sur les projets de lois, le Parlement peut désormais [1] saisir le Conseil d’Etat à titre facultatif sur les propositions de lois ce qu’il fait à titre très occasionnel.

L’alinéa 3 de l’article 39 dispose que la présentation des projets de loi répond aux conditions fixées dans une loi organique. L’article 39 est complété par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Cette loi organique prévoit en son article 8 que les projets de lois font l’objet d’une étude d’impact [2]. L’étude d’impact, qui précède la soumission du projet de loi au Conseil d’Etat, est notamment destinée à préciser les « modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées » et à fournir une « évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue » [3]. La pratique des études d’impact ne semble pas avoir amélioré le travail législatif rempli l’objectif de diminuer le volume et le nombre des lois [4].

§2./ La maîtrise de l’ordre du jour

Si la Premier ministre et chaque chambre du Parlement dispose de l’initiative de la loi, la maîtrise de l’ordre du jour appartient essentiellement au gouvernement. L’article 48 al. 1 C. dispose que « l’ordre du jour est fixé par chaque assemblée » ce qui pourrait laisser penser que l’ordre du jour est sous le contrôle du Parlement. Mais l’alinéa 2 ajoute que « deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, en dans l’ordre que le Gouvernement a fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour ». Le Gouvernement a donc la maîtrise de la moitié de l’ordre du jour. Notons que jusqu’en 2008 il en maîtrisait les trois-quarts [5]. Cette égalité dans la maîtrise d’ordre jour n’est qu’apparente. En effet l’article 48 al. 3 dispose que le Gouvernement peut demander l’inscription prioritaire à l’ordre du jour l’examen des projets de lois de finances, des projets de lois de financement de la sécurité sociale et de certains autres textes. Ce droit de priorité empiète sur la maîtrise de l’ordre du jour des assemblées. En outre l’alinéa 4 du même article prévoit que « une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ». Ces éléments sont bien entendu essentiels et permettent en principe le légitime contrôle du Parlement sur l’action du Gouvernement, mais le temps consacré à ce contrôle est pris sur l’ordre du jour fixé par le Parlement et non sur celui du Gouvernement, qui bénéficie de la garantie de deux semaines sur quatre établie à l’article 48 al. 2. Le Gouvernement dispose donc de l’essentiel de l’ordre du jour des deux assemblées.

§3./ Le droit d’amendement

Le droit d’amendement, qui permet de modifier le projet ou la proposition de loi soumis au Parlement, est encadré de plusieurs manières. Une première série de limitations restreint les droits du Parlement (a). Une deuxième série de limitations restreint les droits du Parlement aussi bien que du gouvernement (b).

A./ La restriction des droits du Parlement

En premier lieu l’article 41 C., déjà évoqué, permet au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à une proposition de loi ou un amendement portant sur une matière relevant du domaine réglementaire. En second lieu, l’article 40 C. permet au gouvernement d’opposer « l’irrecevabilité financière ». En effet aux termes de cet article : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Cette forme de mise sous tutelle financière fait perdre on le comprend une grande part de la maîtrise du Parlement sur les textes de lois.

B./ L’encadrement général du droit d’amendement

Par ailleurs, si aux termes de l’article 44 al. 1 C., le Gouvernement et le Parlement ont le droit d’amendement deux mécanismes limitent ce droit et cette fois pour le Parlement aussi bien que pour le Gouvernement. En premier lieu l’article 45 C. exige qu’un amendement ait, dès la première lecture, un lien même indirect avec le texte examiné. Les amendements qui n’ont pas de lien direct avec le texte seront qualifiés de « cavaliers législatifs » et, s’ils ne sont pas rejetés durant la procédure d’examen du texte, pourront être annulés par le Conseil constitutionnel [6].

La seconde règle est celle dite de « l’entonnoir ». Elle interdit d’adopter, après la première lecture, des dispositions qui n’ont pas de lien direct avec des dispositions restant en discussion, sauf si l’amendement est destiné à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle [7].

§4./ Les différentes procédures permettant au Gouvernement de s’imposer au Parlement

L’un des enjeux du parlementarisme rationnalisé est de permettre un examen efficace de la loi selon le rythme déterminé par le Gouvernement. Nous avons vu que les mécanismes permettant au Gouvernement de s’imposer au Parlement sont nombreux. L’opposition parlementaire a cependant développé des techniques d’obstruction qui rappellent à certains égards le filibustering américain. Afin de limiter le pouvoir d’obstruction de l’opposition deux mécanismes existent. Un troisième mécanisme sera évoqué, qui permet de s’imposer également à une majorité parlementaire récalcitrante.

Au titre de la lutte contre l’obstruction parlementaire notons en premier lieu la technique du « Temps législatif programmé ». Cette technique est permise par une loi organique [8] et a été mise en œuvre dans le règlement de l’Assemblée nationale. Elle permet, passé un certain temps de discussion, de mettre tous les amendements au vote sans discussion (et donc, en principe, de les rejeter rapidement).

La seconde technique, dite du « vote bloqué », est prévue par l’article 44 al. 3 C. qui dispose que si le Gouvernement le demande, « l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

Enfin, rappelons que le gouvernement peut poser la question de confiance aux termes de l’article 49 al. 3 C. Si le gouvernement n’est pas renversé, le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité est adopté [9]. Pour éviter l’abus de cette technique très décriée, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a limité le recours à cet article à un texte par an.

§5./ La prééminence de l’Assemblée nationale sur le Sénat

La discussion des propositions et projets de lois suit une « navette parlementaire » c’est-à-dire un renvoi d’une chambre à l’autre des projets de textes. Une première navette a lieu en première lecture. Si, après cette première lecture par chacune des deux chambres le texte n’est pas adopté en termes identiques, une seconde lecture est organisée. Les points en discussion sont de moins en moins nombreux en raison de l’application du principe de l’« entonnoir »  qui réduit progressivement le droit d’amendement (v. supra).

Si après deux lectures les deux chambres ne se sont pas mises d’accord sur un texte une commission mixte paritaire peut être réunie. La commission mixte paritaire réunit un nombre réduit de parlementaires des deux chambres, chargés de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion (art. 45 al. 2 C.). Si un accord n’est pas trouvé entre les deux chambres, l’Assemblée nationale statue définitivement (art. 45 al. 4 C.). Cette procédure donne le dernier mot à l’Assemblée nationale, bien que ce soit au terme d’une procédure complexe.

[1] La possibilité en a été ouverte par l’art. 39 al. 5 C., introduit dans la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. V. Pascale Gonod, « Le Conseil d’Etat, conseil du Parlement », RFDA 2018 n° 5 p. 871.

[2] Bertrand-Léo Combrade, « L’étude d’impact au Parlement français : un instrument de mutation du rôle des assemblées dans le processus législatif ? », RFAP 2014/1 (n° 149), p. 195-206. Disponible en ligne. DOI : 10.3917/rfap.149.0195.

[3] Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, art. 8.

[4] V. sur ces points l’article précisé de Bertrand-Léo Combrade, « L’étude d’impact au Parlement français : un instrument de mutation du rôle des assemblées dans le processus législatif ? », RFAP 2014/1 (n° 149), p. 195-206.

[5] L’article 48 al. 2 C. a été modifié, comme beaucoup d’autres dispositions de la Constitution, par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008.

[6] La censure des « cavaliers législatifs » était effectuée, avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, sur le fondement de la seule jurisprudence constitutionnelle et des règlements des assemblées. L’interdiction des cavaliers législatifs a désormais une assise constitutionnelle à l’article 45 al. 1 C. V. Jean-Pierre Camby, « La prohibition des cavaliers législatifs : une règle constitutionnelle », LPA 23 décembre 2011, p. 9.

[7] CC, 19 janvier 2006, décision n° 2005-532 DC, Loi relative à la lutte contre le terrorisme, cons. 26.

[8] Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, art. 17 : « Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ».

[9] Art. 49 al. 3 C. : « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».